En lançant, avec une arrogance inouïe, cette phrase assassine à la face des Algériens : «Que celui qui n'est pas content n'a qu'à quitter le pays», le ministre de la Jeunesse et des Sports a certainement commis la plus grande gaffe de sa vie qui devrait en principe lui coûter immédiatement et sans la moindre indulgence son poste. Gros gros dérapage assurément au moment où le gouvernement Djerad s'efforce avec l'énergie du désespoir de bien vendre la «nouvelle Algérie» à travers une campagne référendaire menée tambour battant et à fortes doses de populisme pour tenter précisément de rapprocher un peu plus le nouveau pouvoir des populations réfractaires. Une tuile qui vient casser le jeu. Une bourrasque qui éclate dans un ciel qu'on voulait serein. Un scandale ! On se serait cru revenir à l'ère Bouteflika où des ministres comme Benyounes prenaient la liberté d'insulter le peuple en toute impunité avec des mots aussi méprisants et aussi dégradants. Se prenant pour les maîtres des lieux, ces ministres n'avaient aucune retenue pour livrer leurs pensées ségrégationnistes et le drame est qu'ils le faisaient naturellement en ayant cette certitude que c'est le peuple qui était à leur disposition et non le contraire. Une question de mentalité bien ancrée qui a fait d'énormes dégâts dans les rapports de gouvernance induit par l'ancien système, et on se demande dans ce cas si le préposé de l'exécutif actuel au domaine, ô combien sensible, de la jeunesse et des sports ne serait pas lui-même porteur du même état d'esprit en se permettant, sans la moindre gêne, un tel glissement sémantique. Il faut dire que cette circonlocution qui semblait sur le moment lui donner une certaine ivresse d'une ambition pouvant encore le mener plus haut dans la hiérarchie, lui l'enfant de la nomenklatura mais néanmoins illustre inconnu qui a eu la chance, grâce au hirak, nous ne le dirons jamais assez, d'accéder à une aussi noble responsabilité, passe très mal dans l'agenda sociopolitique du gouvernement. Si elle a dû certainement révulser le président de la République en personne, très pointilleux sur les questions des rapports sociaux, on imagine qu'une telle dérive stylistique a également mis le Premier ministre, gardien de l'ordre moral de Tebounne, dans tous ses états. D'autant que cette bourde ministérielle intervient alors que l'affaire du wali qui a méprisé royalement une enseignante osant défendre avec beaucoup d'a-propos les conditions exécrables existantes au sein de son école n'a pas encore fini d'allumer la Toile où ce dernier a été descendu en flèche pour son impertinence. En un laps de temps, deux incarnations – et elles ne sont pas les seules – de la nouvelle Algérie qui versent dans l'inconsidération totale du peuple, voilà qui fausse la stratégie dite de «normalisation» menée éperdument par les tenants actuels du régime. Ce comportement qui n'a rien d'un instantané incontrôlé traduit, au contraire, le maintien naturel d'une mentalité dominante qui a longtemps régné avant que le hirak ne vienne la bousculer. La vidéo qui montre le ministre de la Jeunesse et des Sports dans sa diatribe oratoire est un document implacable de vérité, de même que celle du wali d'Oran qui semblait complètement déstabilisé face à une citoyenne tenant simplement à lui exposer les problèmes à résoudre qui relèvent directement ou indirectement de ses compétences. Les images illustrent, en fait, des pratiques et des mœurs politiques d'une autre époque que le nouveau pouvoir essaye pourtant de camoufler en changeant uniquement l'emballage. Djerad aura beau prendre partie pour l'institutrice, en ne manquant pas de désavouer au passage le wali qui ne se relèverait sûrement pas de sitôt d'un tel camouflet pour l'avoir lui-même cherché, mais dans un raisonnement beaucoup plus pertinent, on ne manquera pas de souligner que ces faits gravissimes, s'ils arrivent à se produire encore dans un contexte où le déni et l'abus de pouvoir sont théoriquement bannis, sont la preuve formelle d'un changement de façade qui ne dépasse pas les limites de l'ostentatoire. L'adage qui dit «chassez le naturel, il revient au galop», nous renseigne sur ce changement de toc que le pouvoir veut imposer en le présentant comme une vitrine mirifique pour l'avenir du pays. Un petit tour sur la place publique, dans les quartiers populaires notamment, là où l'ancrage du hirak est fortement établi, nous renvoie des sentiments de vérité que les discours officiels et les médias du pouvoir n'oseront jamais approcher. Ces paroles de citoyens lamda qui s'intéressent à la vie politique de leur pays portent sur l'immense déception que les gens ressentent vis-à-vis du pouvoir en place. Frustrations éloquentes de voir que depuis l'installation de ce dernier, rien de fondamental n'a réellement changé dans les mœurs politiques algériennes. Pour la grande majorité, on n'a fait que remplacer l'ancienne clientèle par une autre, toute aussi courtisane et obséquieuse que sa devancière. On fait, dit-on, du bouteflikisme sans Bouteflika et selon nos interlocuteurs, Mme Zoubida Assoul a tapé juste en le soulignant. Il n'y a qu'à voir comment s'opère le retour des partis qui ont ruiné l'Algérie. En particulier les moyens mis à leur disposition pour reprendre leurs activités au service des nouveaux maîtres. Quand une salle est refusée au RCD, elle est prestement libérée pour le FLN et le RND. Tous les mini-partis parasitaires sont au rendez-vous de la campagne référendaire pour appuyer le OUI qui donnera des couleurs au régime. A les suivre dans leurs élans jubilatoires pour sceller de nouveau leur allégeance avec le locataire d'El Mouradia, on a l'impression de revenir en arrière avec les mêmes courbettes, les mêmes promesses, la même démagogie. L'important, comme hier, étant de ratisser large les voix des humbles gens pour les transformer en une large victoire politique de laquelle ils attendent quelques dividendes. Les opportunistes de tout bord, de tout poil sont de retour, avec la complaisance du régime qui n'a aucun effort à faire pour voir sa «base» redéployer ses tentacules. Base multiforme : politique, médiatique, sociale où la «nouvelle société civile» est de plus en plus sollicitée pour montrer que le pouvoir est réellement mis entre les mains du peuple. C'est la facette d'un changement superficiel qui est proposée et qui ne risque pas d'être altérée. Avec du vieux, on refait du neuf…, laisse-t-on dire avec sarcasme pour désigner les stéréotypes criants que le pouvoir ne veut pas voir. Les prisonniers d'opinion sont une tache noire, la répression violente contre les activistes du hirak et les journalistes est encore plus accablante pour l'image internationale du sérail. En haut lieu, on fait semblant de croire que les choses se normalisent dans l'Algérie qui doute. En réalité, c'est le label impérieux qui continue…comme avant, et peut-être plus brutalement si on se réfère à l'option sécuritaire ultramusclée adoptée pour éviter toute idée de compromis avec les vrais et authentiques acteurs du changement, en l'occurrence… les hirakistes. Le hirak ? Il est pourtant toujours présent dans les esprits comme la solution alternative pour régler la crise multidimensionnelle. Malgré le défaitisme de certains issus pourtant de son rang, il reste, comme l'a si bien expliqué un professeur de psychologie sociale, un «processus historique qui prendra le temps qu'il faudra pour réaliser ses objectifs». Tout est dit. Advertisements