Alors que son nom est cité dans deux affaires en instruction au pôle pénal financier de Sidi M'hamed, à Alger, l'ex-patron de Sonatrach, Abdelmoumen Ould Kaddour, et sa famille multiplient les transactions immobilières dans l'un des quartiers les plus huppés de la capitale française. En quelques années, leurs biens dans ce pays ont atteint la valeur de 4 millions d'euros. Après leur ouverture à la Cour suprême, deux affaires impliquant l'ex-PDG de Sonatrach, Abdelmoumen Ould Kaddour, ont été transférées aux magistrats de la 1re chambre du pôle pénal financier de Sidi M'hamed, près la cour d'Alger. Il s'agit de deux dossiers importants, l'un concernant les circonstances dans lesquelles Sonatrach a racheté, en 2018, la raffinerie d'Augusta en Sicile (Italie) auprès du groupe ExxonMobil, pour un montant de plus de 720 millions de dollars. Une acquisition dont le prix a été jugé exorbitant en raison de l'âge (70 ans) de cette raffinerie, poussant la compagnie pétrolière à s'endetter pour un montant de 250 millions de dollars, dont 100 millions de dollars destinés aux travaux de maintenance. L'été dernier, le tribunal de Bir Mourad Raïs avait ouvert une enquête, avant de placer en détention l'ex-vice-président du groupe Sonatrach, Ahmed Mazighi, et conseiller du PDG, alors Abdelmoumen Ould Kaddour. Depuis quelques mois, le dossier a été transféré au pôle financier. La deuxième affaire est liée aux marchés de gré à gré, octroyés dans des conditions suspicieuses à BRC (Brown and Rooth Condor), une joint-venture entre Sonatrach et une des filiales de Halliburton, de droit algérien, dirigée par Ould Kaddour. En 2006, le tribunal de Bir Mourad Raïs avait auditionné de nombreux hauts responsables des institutions ayant contracté des marchés avec BRC. L'enquête avait mis en lumière de nombreux cas de «surfacturation» dans ces marchés, avec les ministères de l'Energie, de la Défense, de l'Hydraulique, des Travaux publics, etc., et l'exemple de la réalisation, pour plus de 40 milliards de centimes, des deux tours abritant les sièges du ministère de l'Energie était révélateur. Mais, à l'époque, BRC a été vite dissoute, et l'affaire mise sous le coude, alors qu'Ould Kaddour est concerné par dans une affaire de «divulgation d'informations classées secret défense», puis condamné à une peine de 30 mois de réclusion par le tribunal militaire de Blida, qu'il quittera après avoir purgé 26 mois, en 2009. L'intervention d'une personnalité nationale lui a permis d'obtenir une grâce auprès du Président déchu. Dix ans plus tard, Ould Kaddour est propulsé au poste de PDG de Sonatrach. Dans le dossier de BRC, instruit par le doyen de la 1re chambre du pôle financier de Sidi M'hamed, l'ex-PDG de Sonatrach est cité avec l'ancien ministre de l'Energie, Chakib Khelil. Débarqué de son poste à la faveur des manifestations populaires contre le régime des Bouteflika, Ould Kaddour et sa famille, dans la discrétion la plus totale, procèdent à de troublantes transactions immobilières à Neuilly-sur-Seine, un des quartiers les plus huppés de la capitale française. Jugeons–en. Au mois de mai 2009, la société civile immobilière (SCI) LEMA, au capital social de 1000 euros, est créée par les deux frères d'Ould Kaddour, Mohamed Réda, gérant, Nacim Ould Kaddour, l'épouse de ce dernier, Amel Yala, ainsi que leur mère, Mme Ould Kaddour, née, Anissa Ouabdeslam, pour l'acquisition et la gestion de deux appartements situés à Neuilly-sur-Seine, d'une valeur de 3 380 000 euros. Deux biens de 3,38 millions d'euros à Neuilly pour Mme Ould Kaddour et ses enfants Le 2 juillet de la même année, soit deux mois plus tard, Nacim Ould Kaddour cède 150 de ses parts à sa mère, Anissa Ouabdeslam. Durant cette période, Abdelmoumen vit entre Paris et les Emirats, où il travaille comme consultant international. Pour deux magnifiques demeures de 7 et 3 pièces, les Ould Kaddour vont passer par un montage financier international. Ainsi, ils décrochent un prêt de 3,2 millions d'euros auprès d'une banque libanaise, la First National Bank SAL, domiciliée à Beyrouth, avec un taux d'intérêt de 3,75% remboursable sur une période de 12 ans, avant que Amel Yala ne dépense 410 000 euros pour une rénovation totale des deux biens. L'échéance du remboursement du prêt (assumé équitablement par Mohamed Réda Ould Kaddour et sa maman Anissa Ouabdeslam) était prévue pour le 10 janvier de l'année en cours. Le 2 mars 2012, Nacim Ould Kaddour et son épouse Amel cèdent leurs parts à de Abdelmoumen Ould Kaddour, et un mois plus tard, cette cession (au papa) est enregistrée à la recette des impôts des non-résidents par l'agent des finances publiques, à la suite de la signature d'un protocole d'accord enregistré au greffe du tribunal de commerce de Nanterre, en date du 21 novembre 2013, soit 20 mois après son acceptation, sur la base d'un prix de 56 euros par part, soit un montant total de 19 600 euros. La plus-value de la cession des parts cédées à Abdelmoumen Ould Kaddour n'aurait, selon nos sources, jamais fait l'objet d'une déclaration au fisc. Au mois d'avril 2012, soit un mois seulement après cette transaction, la SCI LEMA opère une modification importante dans ses statuts, en introduisant Abdelmoumen Ould Kaddour comme associé. Son fils Nacim se retrouve gérant non associé. Au titre de ce changement, Abdelmoumen Ould Kaddour est tenu d'assurer la prise en charge totale des engagements financiers pris par sa famille auprès de la banque libanaise ayant financé l'achat de ce bien. Un engagement, qu'il ne va pas respecter en laissant la dette en suspens. Cela va conduire à l'annulation de la cession de 350 parts qui lui ont été cédées et leur restitution à Nacim Ould Kaddour, son fils, et Amel Yala. La décision a été prise le 22 août 2013 à Paris, lors d'une assemblée générale. Des tours de passe-passe et Abdelmoumen disparaît des actes... Du coup, Abdelmoumen disparaît des actes officiels. Au mois de mars 2017, alors qu'il est propulsé PDG de Sonatrach, son fils Mohamed Réda et son épouse Anissa, non-résidents en France au sens de la législation française, et dont les adresses se trouvent en Algérie, cèdent leurs parts à Nacim Ould Kaddour, qui désormais devient propriétaire de 75% des parts de la SCI LEMA. Cette transaction ne connaît aucune déclaration de plus-value aussi bien en France qu'en Algérie, indiquent nos sources. Divorcé d'Amel Yala, à la fin du mois d'octobre 2018, Nacim récupère les 250 parts détenues par son ex-épouse dans la SCI LEMA, en contrepartie du paiement d'un montant officiel de 250 euros (sic !!!). Avec ces multiples transactions de ventes et de rachats, Nacim Ould Kaddour devient l'associé unique de la société immobilière LEMA et, de ce fait, des appartements de Neuilly-sur-Seine. Aucun de ses ex-associés n'a eu à payer le moindre centime au fisc. «Pour un appartement de 3,38 millions d'euros et des travaux de rénovation estimés à plus de 400 000 euros, la part revenant à Mme Yala aurait dû se chiffrer à au moins un million d'euros !» signale Sabri Oukaci, un spécialiste du digital qui s'intéresse au monde de l'immobilier, en précisant que les experts immobiliers à Neuilly affirment que «cette plus-value aurait dû faire l'objet d'une déclaration aux impôts». Ce qui n'a été le cas, ajoute notre interlocuteur. Pour lui, «ni Amel Yala ni Nacim Ould Kaddour n'ont déclaré de plus-value en dehors des 250 euros des parts de la SCI LEMA, à l'issue de la cession contenue dans le contrat du 28 janvier 2019». Mieux encore, à la fin de l'année 2019, Mohamed Réda Ould Kaddour crée une nouvelle société immobilière, SCI AR Paris, avec un capital de 1000 euros, en utilisant la même adresse que la SCI LEMA, dans un des plus chics boulevard de la ville de Neuilly-sur-Seine. Le 23 janvier 2020, il cède 79,9% du capitale de SCI LEMA à son frère Mohamed Réda Ould Kaddour, résidant en Algérie, dans la villa familiale située au quartier de Draria, à Alger. Dans l'article 9 du contrat de cession, les deux parties (LEMA dont le gérant est Nacim Ould Kaddour et son frère Mohamed Réda) affirment que l'intégralité du prix des parts de cette nouvelle cession convenue entre les parties est de 799 euros, correspondant aux 799 parts que Mohamed Réda détient désormais dans la SCI LEMA. Le même jour, soit le 23 janvier 2020, les statuts de la SCI AR Paris actent le transfert de 999 parts de la SCI LEMA et de l'apport d'une part de Mohamed Réda Ould Kaddour. Ainsi sur les 1000 parts de la SCI AR Paris, Mohamed Réda se retrouve détenteur de 800 parts, alors que 200 parts reviennent à la SCI LEMA, et donc à son gérant Nacim Ould Kaddour. «Par cet énième tour de passe-passe, les biens immobiliers de la famille Ould Kaddour passent sous la coupe d'une nouvelle entreprise qui ne mentionne plus qu'un seul des enfants de Abdelmoumen Ould Kaddour, sans changer véritablement de mains. Mais comment Mohamed Réda Ould Kaddour, qui réside officiellement en Algérie, peut-il justifier l'acquisition de biens immobiliers en France, qui dépassent aujourd'hui les 4 millions d'euros ?» s'interroge Sabri Oukaci. La question reste posée. BIO-EXPRESS Abdelmoumen Ould Kaddour né le 26 septembre 1951 à Tlemcen, après les études secondaires, il rentre à l'Ecole nationale polytechnique d'Alger d'où il sort diplomé ingénieur d'Etat en génie chimique. Il a émigré aux Etats-Unis à l'âge de 24 ans, il s'inscrit au prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), il est diplômé d'un master en génie chimique le 20 septembre 1979 et d'un diplôme d'ingénieur chimiste le 20 février 1980, diplôme professionnel octroyé par le MIT dans le domaine de l'ingénierie 4. En 1992, il fonde la societé Condor Engineering Spa, une société de conception et de développement par ordinateur, dont il devient le président-directeur général. En 1993, il est nommé président-directeur général de Brown & Root-Condor, société par actions algéro-américaine (51% détenus par Sonatrach et 49% par Brown & Root). En 2005, il devient le président du conseil d'administration de BRC-Construction (BRC-C) à la suite de l'acquisition de 70% du capital de l'Entreprise de construction bâtiments d'El Achour (ESCB). L'histoire de l'ex-PDG de Sonatrach, Abdelmoumen Ould Kaddour, n'a jamais cessé de défrayer la chronique depuis l'affaire BRC et ses affaires troublantes dont on ne connaît pas la genèse exacte. Cependant, le premier grief retenu contre l'ex-patron de l'entreprise algéro-américaine BRC est cette fameuse affaire d'espionnage rapportée par l'ensemble des médias algériens. Le 23 avril 2019, alors qu'il y a en Algérie – à la suite des manifestations et événements de l'hiver 2019 – une multiplication d'enquêtes pour corruption et une «purge» dans le milieu des affaires algérien, Ould Kaddour est limogé de la présidence de Sonatrach. Advertisements