De Tunis, Mohamed Kettou «Le peuple vous fait face et la Constitution est derrière. Vous ne pouvez pas fuir.» C'est en ces termes que le chef de l'Etat, Kaïs Saïed, a bombardé ses détracteurs et, selon toute vraisemblance, le chef du gouvernement Hichem Mechichi et ceux composant son «coussin» politique conduit par Rached Ghannouchi, président du Parlement. Plus grave encore. Sans les nommer, le président de la République a accusé certaines parties «d'intelligence avec des étrangers» pour le faire fléchir. Face au blocage de la situation politique qui dure depuis le 26 janvier, le Président tunisien Kaïs Saïed reste de marbre. Il est irréductible malgré les démarches menées par diverses parties. Jusque-là, il refuse de recevoir les onze nouveaux ministres (dont quatre sont soupçonnés de corruption et de conflit d'intérêts), nommés par Hichem Mechichi pour prêter serment. Par conséquent, ce refus bloque les activités de onze départements ministériels sur les 28 que compte le gouvernement. Recevant, mercredi, une délégation de députés représentant plusieurs partis politiques, le chef de l'Etat lui a signifié, de nouveau, son refus initial et «de principe», allant jusqu'à proposer une démission de Hichem Mechichi ou le retrait des ministres «incriminés.» Ainsi, le chef de l'Etat n'a, nullement, l'intention de reculer, expliquant que la sortie de l'impasse ne pourra pas revêtir un aspect juridique. D'où l'impérieuse nécessité de respecter, scrupuleusement, la Constitution, du reste violée, selon lui, par le remaniement en question et par le recours au Parlement pour obtenir sa confiance, conformément à un règlement intérieur qui, quel qu'il soit, ne peut avoir la primauté sur la Constitution. Simultanément, Hichem Mechichi ne s'est pas croisé les bras. Il a demandé l'avis de constitutionnalistes et du tribunal administratif dont l'avis n'est que consultatif, donc en aucun cas contraignant pour le chef de l'Etat. A l'unanimité, les constitutionnalistes ont affirmé que la solution ne peut être que politique. Pire encore, Mechichi, les mains liés et ne bénéficiant pas d'immunité, ne peut pas courir le risque d'un passage en force sous peine d'être poursuivi pénalement. Toutefois, pour ne pas perdre la face, il pourrait affecter les personnes concernées en faisant d'elles des conseillers auprès du chef du gouvernement. Ce serait un moyen qui favoriserait une sortie «honorable». Cependant, les observateurs voient en ces deux réunions des erreurs commises par les deux têtes de l'exécutif qui auraient dû se rencontrer, plutôt que de s'ignorer. Des deux côtés, on n'a pas cherché à dénouer la crise. Sans aller jusqu'à affirmer qu'ils n'ont invité à leurs réunions respectives que des laudateurs, les observateurs considèrent qu'ils n'étaient pas entourés de contradicteurs dont les avis auraient donné davantage de crédit aux conclusions souhaitées. Pour les constitutionnalistes réunis autour du chef du gouvernement, la solution doit être de la même nature que le problème, c'est-à-dire politique. Cependant, estiment-ils, des solutions techniques existent. Mais, il demeure nécessaire de les introduire conformément à la Constitution. De plus, il faut se garder de créer un précédent qui, dans le futur, mènerait au blocage du système dans son intégralité. Finalement, les deux présidents se sont, encore une fois, tourné le dos. L'un s'accrochant au respect, à la lettre, de la Constitution et l'autre caressant l'espoir de battre son rival grâce au soutien de l'Assemblée et, surtout, son président Rached Ghannouchi. Dans une interview à Al Jazeera, celui-ci a répondu, directement et doctement, au président de la République, affirmant que la Constitution n'autorise pas ce dernier à agir de la sorte pour refuser de recevoir les nouveaux ministres pour prêter serment. Tant au niveau des partis politiques qu'à celui des députés, les avis diffèrent quant à la solution de la crise. Les uns souhaitent la destitution du chef de l'Etat et les autres recommandent la démission du chef du gouvernement. D'autres, plus sages, appellent au retrait des ministres suspects. Entre-temps, le pays croule sous les problèmes sociaux, économiques et sanitaires. Trouvera-t-on, bientôt, une planche de salut ? M. K.