Pour Abdelhak Lamiri, docteur ès sciences de gestion (université de Californie, Etats-Unis), le plan de consolidation de la croissance économique qui semble faire l'unanimité est une erreur. D'après lui, ses initiateurs se sont trompés de priorités. Il considère que le montant de 55 milliards de dollars consacré à ce plan aurait dû être utilisé pour assainir les entreprises et les administrations pour les rendre en mesure de gérer d'une manière efficace. Les prévisions, sans complaisance, de cet économiste tendent plutôt vers une croissance artificielle et une embellie conjoncturelle de l'économie avant de retomber dans la crise. Le président de la République a dévoilé le contenu du plan de consolidation de la croissance économique. Quelle appréciation en faites-vous ? Il y a plusieurs appréciations, mais avant de parler des aspects positifs et négatifs, il y a un certain nombre de précisions qu'il faudrait apporter. Première précision, c'est que, pour ma part, je considère que ce plan de relance est fait par un pouvoir qui a la légitimité obtenue par les urnes. Il a donc le droit de mener les politiques économiques qu'il entend mener à bien. En second lieu, je crois que si on est en train de faire une erreur d'appréciation, il n'y a pas lieu de l'incomber à une personne, car je constate qu'il y a un consensus général sur le programme, que ce soit du côté du Conseil national économique et social (CNES), du Forum des chefs d'entreprise (FCE), du patronat, du syndicat, de la plupart des experts ou d'un grand nombre d'économistes d'Algérie. Moi, je crois, en général, que ce plan est une erreur pour des raisons pratiques et théoriques très simples. On s'est trompé d'ordonnance pour le pays. C'est un pays qui a une tuberculose et on lui a donné une thérapie pour une grippe. A votre avis, les différentes administrations qui auront à intervenir dans cet important programme sont-elles en mesure de le faire d'une manière efficace dans leur état actuel ? Nous sommes un pays où les administrations ne savent pas administrer, nous avons des entreprises qui ne savent pas produire, nous avons des universités qui ne savent pas former. Il y a plus de 50 milliards de dollars de projets et on n'a pas de gestionnaires de projets, alors que ce sont des opérations éminemment techniques. Nous avons des banques qui ne sont pas des banques. On aurait dû utiliser cet argent pour moderniser l'appareil de formation pour avoir un tissu d'universités privées et publiques de très grande compétence pour former les futurs managers afin de conduire les futures entreprises. On aurait dû moderniser les administrations, privatiser et moderniser les banques, mettre en place un management efficace dans les entreprises, développer la petite et moyenne entreprises. Il aurait été plus judicieux de créer un million de PME au lieu de construire un million de logements. Lorsque les recettes pétrolières vont chuter dans cinq à six ans, on aura créé une économie qui n'aura pas besoin de pétrole et qui va fonctionner toute seule parce que les entreprises vont exporter. Au lieu de cela, on a pris l'argent pour en faire des routes, des autoroutes, des barrages avec un peu de microcrédit pour l'agriculture. Mais le dosage va surtout vers l'équipement. L'équipement ne développe jamais un pays, tout comme les industries ne développent jamais un pays. Il faut qu'il y ait une intelligence algérienne qui mette en place des stratégies et des procédures pour changer les modes de fonctionnement des entreprises, des administrations et des écoles. Or toute cette instrumentation technique n'est pas là et même ce qui est en train de se faire n'est pas bon. A votre avis, comment va évoluer la situation ? On aura des milliers de logements en plus, des routes, des autoroutes, des barrages, mais le jour où va cesser cette croissance extensive, c'est-à-dire une croissance qui vient car on met des ressources dans l'économie, eh bien, cette dernière sera en crise et tous les emplois créés vont être perdus. Il faudra dans ce cas-là mettre en place un deuxième plan parallèle, sinon on restructure celui-ci. Le deuxième plan parallèle consiste à avoir des ressources massives pour transformer les modes de fonctionnement et changer les priorités. Si l'Etat s'arrête de mettre des ressources, l'économie va être en décalage par rapport aux besoins et elle n'a pas un phénomène autocentré qui lui permette de s'autonomiser. On aurait été contents si la croissance était intensive, c'est-à-dire que si c'étaient des entreprises elles-mêmes qui avaient produit des bénéfices qu'elles réinvestissent et qui ont été à l'origine de cette croissance. Mais c'est une croissance qui provient des hydrocarbures. Les gens ont été trompés, car ils ont mal compris la fameuse théorie keynésienne. Keynes dit que lorsqu'une économie est en crise, on crée la demande et l'économie est boostée. Mais Keynes a des hypothèses. Lui était dans une économie de marché où les banques fonctionnent bien. Idem pour les entreprises, les administrations et les universités. Tout est au point. Et ce qui manque, c'est la demande. Or ce n'est pas le cas en Algérie. C'est l'institutionnel qui ne fonctionne pas. On n'est pas dans une économie qui sait transformer la rente en richesse. On n'est pas encore en économie de marché. La priorité, c'est de transformer ces institutions. Vous estimez donc que le contexte n'est pas encore propice... Il y a d'autres priorités. Il aurait fallu mettre une pépinière dans chaque commune, avoir des gestionnaires de commune dynamiques pour pouvoir développer l'économie locale. On aurait créé les éléments de base qu'on appelle les fondamentaux de base. Là, si on arrêtait un jour de mettre des ressources, on aurait créé la dynamique qui va continuer. Mais là, on a des entreprises incapables, des administrateurs incapables à qui on donne de l'argent et on leur dit de le gérer efficacement. Nous aurons ainsi une mauvaise utilisation des ressources parce que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Il faudrait transformer d'abord les entreprises et les administrations par des actions d'ingénierie institutionnelles. Est-ce que ce plan est de nature à assurer une croissance durable ? Il va assurer une croissance artificielle pendant cinq ans. On aura l'illusion que l'Algérie est sortie du sous-développement. Le taux de chômage va peut-être avoisiner les 8%, car il y aura beaucoup de saisonniers. Mais le jour où l'Etat arrêtera ces marchés, les entreprises vont licencier massivement et on va retourner à la crise du début.