Dans cet entretien accordé à El Watan, Kouider Krioua, aviculteur et SG local du conseil interprofessionnel de la filière avicole explique la crise vécue ces dernières semaines par les professionnels de ce secteur agricole. Propos recueillis par Djamel Benachour
-Que représente la filière avicole à Oran ? L'aviculture est importante en termes de production, mais elle n'est pas normalisée, elle n'est pas organisée et c'est pour cela que les données officielles ne reflètent pas ce qui existe réellement sur le terrain. En tout cas, la production couvre largement les besoins de la wilaya, ses habitants et ses visiteurs touristes et autres. Il y a des éleveurs dans pratiquement toutes les localités de la wilaya. Il y a des éleveurs qui activent de manière dont nous ne dirons pas qu'elle est illégale, mais en tout cas non organisée. Ils activent dans des serres avicoles mais cela existe même dans les pays européens et il faut aussi rappeler que l'Etat algérien en a aidé pas mal à s'installer dans les années 80. Les agréments exigés aujourd'hui concernent les bâtiments d'élevage et ils sont attribués sous certaines conditions (installation de plateformes spécifiques, d'un certain nombre d'accessoires, etc.) L'administration est en général lourde. Il y a des fellahs qui ne se sont pas présentés pour se conformer à cette règle et l'administration de son côté n'a pas adopté de mesures strictes, car, dans le cas contraire, ceux-ci cesseront d'activer et il y aura moins de production. On peut donc parler de tolérance parce que ces éleveurs participent à l'économie nationale. L'Etat laisse faire parce que ces éleveurs assurent une plus value pour le pays mais si on essaye de les imbriquer dans les problèmes de paperasse, ils abandonnent. Lors d'une rencontre récente, j'ai proposé d'établir des fiches d'identification et de suivi et, ainsi au moment de la vente, on peut dépêcher un vétérinaire. Eux, en général, ils travaillent à 99% avec les vétérinaires privés. -Comment expliquez-vous la crise vécue ces dernières semaines ? La crise vécue ces derniers temps est en partie liée à un manque de production mais non pas à cause des contraintes administratives mais à cause de la cherté de l'aliment. Celui-ci est composé d'un certain pourcentage de soja, de maïs et un peu d'autres ingrédients (CMV, pour complément minéral vitaminé). Le problème c'est qu'il n'est pas produit chez nous en Algérie. Actuellement, on produit un peu de maïs mais le soja n'est qu'à ses balbutiements à travers quelques essais. C'est un marché sur lequel nous n'avons aucune emprise. A cela, il faut ajouter les compléments nutritifs, des vitamines et des acides aminés concoctés de manière savante et technique pour améliorer le rendement et la performance. Tout a augmenté. Dans ce processus, pour parler franchement, notre contribution se limite presque à la fourniture du lieu, de l'eau et de la main-d'œuvre. Tout le reste est importé ou presque. Même la sciure de bois (ndjara). Actuellement on ne parle plus d'élevage de volaille mais d'industrie. L'Etat algérien est intervenu depuis longtemps en formant les gens, en subventionnant l'aliment, etc., j'estime à un million le nombre d'employés dus à cette filière sur le territoire national, bien sûr en comptant autant les emplois directs qu'indirects (fabricants d'aliments, ceux qui récoltent les sciures de bois, les transporteurs, etc.) En général, ce sont des entreprises familiales, car cela exige de la confiance et d'être tout le temps sur place. Nous avons néanmoins de grands centres de production dans la wilaya d'Oran comme c'est le cas du côté de Tafraoui, de Boutlelis, de Hassi Bounif ou Boufatis. Ce sont des élevages qui dépendent entièrement de l'aliment industriel. -Comment expliquez-vous l'augmentation des prix des aliments ? Il y a même pas une année, le prix des aliments étaient aux alentours de 4500 à 4800 DA le quintal. Aujourd'hui, il est entre 7000 et 7500 DA le quintal. La différence des prix dépend de la qualité de l'emballage mais aussi de la nature du mélange avec plus ou moins de tourteaux de soja générés par la trituration de ces graines oléagineuses entrant dans la fabrication de l'huile de table végétale. Chacun a sa formule. Il y en a qui mettent 30 kg dans le mix d'autres 32 kg. Un kilo de tourteaux de soja vaut 100 DA. A Oran, il y a une usine implantée à El Hamoul qui revend ces tourteaux de soja. Auparavant, l'huile était importée directement pour être conditionnée mais après, l'Etat a projeté d'exiger de transformer le soja chez nous en attendant de le cultiver directement. A ma connaissance, en Algérie, il existe trois usines, dont celle des Kouninef, reprise par l'Etat à Jijel, et celle d'Oran, détenue par le groupe SIM. Cependant les besoins sont loin d'être couverts. Avec la crise pandémique, les prix du soja et de ses tourteaux ont augmenté à l'échelle mondiale. Néanmoins les augmentations des prix à l'international restent sans commune mesure avec l'augmentation pratiquée en Algérie. On a atteint un pic de 15 000 DA le quintal avant que le prix ne redescende à environ 9000 DA au fil du temps et grâce à la reprise de l'activité. Il aurait fallu que les produits viennent de l'étranger par bateaux pour aboutir à cette diminution. C'est la loi de l'offre et de la demande. Avec l'augmentation substantielle, beaucoup d'éleveurs se sont retirés du marché et c'est la raison pour laquelle nous vivons aujourd'hui cette situation, ce sont les conséquences d'une dérégulation. Et on sait que le manque de production aboutit toujours à l'augmentation des prix. -Que répondez-vous aux gens qui imputent l'augmentation des prix aux éleveurs eux-mêmes ? Par rapport à ce qui se dit sur les réseaux sociaux concernant le prix de vente à l'origine, il faut d'abord savoir que le fellah vend le poulet en poids vif (vivant). Beaucoup ne comprennent pas cela. Après, quand il est vidé et nettoyé, ce sont 25% du poids initial qui sautent. Le prix du poussin, qui oscillait habituellement entre 50 et 80 DA, a grimpé dans un premier temps à 130 DA pour atteindre aujourd'hui 150 DA. C'est cher. Pour expliquer les choses, il faut savoir que cet élevage se subdivise en deux catégories. Nous avons d'un côté les poules pondeuses, dont l'œuf est utilisé pour la consommation et nous avons d'un autre côté les poules reproductrices qui produisent les poussins et donc le poulet de chair et le circuit s'arrête là. Pour ce cas précis, c'est le fruit d'une véritable science liée à la sélection sur la base d'importantes recherches scientifiques qui ont elles-mêmes évolué au fil des années. Nous, nous n'avons que le résultat final, car ils vous donnent juste la poule et pas la lignée. Au-dessus de l'éleveur il y a l'accouveur ou le multiplicateur pour ce qu'on appelle les parentaux et encore au-dessus il y a les sélectionneurs pour les Grands parentaux (GP) ou éventuellement les arrières-grands parentaux mais là c'est une autre histoire. A ma connaissance, l'Algérie compte seulement deux investisseurs en amont de notre filière avicole (les GP) grâce à des partenariats étrangers, un à Tlemcen (Arbores Acres, ndler) et un autre à Aïn Ouassara (Hubbard, ndlr). Sinon, en effectuant un calcul simple à partir du prix du poussin et de ce qu'il faut dépenser pour le nourrir, le soigner et le préparer à la vente en poulet de chair (main-d'œuvre, charges diverses, etc.), on arrive à un prix inimaginable il y a à peine quelques mois. Sans perdre de vue les risques liés aux maladies entraînant des pertes, l'autre paramètre entrant en jeu concerne l'augmentation de la demande avec de plus en plus de ménages qui se rabattent sur cette denrée réputée bon marché comparé à la viande rouge plus chère et moins disponible dans sa version congelée. Même l'élevage de dindes a diminué, en plus il faut 4 à 5 mois d'élevage contre seulement 45 jours pour le poulet. En temps normal, selon mon estimation, les grosses commandes incluses, la wilaya d'Oran consommerait entre 80 000 et 100 000 poulets par jour. En résumé, nous faisons face à un certain nombre de facteurs qui me poussent à penser que les prix ne vont pas baisser de sitôt. Advertisements