Les valses diplomatiques de l'Exécutif tunisien, le président Kaïs Saïed, le chef du gouvernement Hichem Mechichi et le président du Parlement, Rached Ghannouchi en l'occurrence, se multiplient à la recherche de fonds pour une Tunisie au bord de la banqueroute, surtout avec les difficultés des négociations entamées avec le Fonds monétaire international (FMI). Les amis de la Tunisie, s'inspirant des réserves du FMI, tardent à concrétiser leurs promesses, en l'absence de visibilité sur la scène politique tunisienne, dominée par les clashs entre les trois têtes du pouvoir. Personne ne veut, semble-t-il, tendre la main à un pouvoir en manque de repères. La visite du président du Conseil présidentiel libyen, Mohamed Younes El Menfi, à Tunis du 29 au 31 mai dernier, a mis à nu l'impact des divisions politiques des Tunisiens entre eux sur la concrétisation des accords de coopération entre la Tunisie et ses amis, en l'occurrence ici la Libye. Rien n'a été concrétisé malgré le fait que le chef du gouvernement, Hichem Mechichi, venait de rentrer de Tripoli après une visite les 22 et 23 mai, où plein d'accords ont été annoncés concernant la libéralisation des échanges financiers et commerciaux, en plus d'une promesse de dépôt de fonds libyens à la Banque centrale tunisienne. Malheureusement, même la réunion de la haute commission mixte tuniso-libyenne, annoncée suite à la visite, le 17 mars dernier, du président Saïed en Libye, n'a pas eu lieu. Cette réunion implique le ministère des Affaires étrangères, dont la tutelle est mixte entre Saïed et Mechichi. Et si la réunion, annoncée pour fin avril, ne s'est pas tenue, c'est que le courant ne passe pas du tout entre les deux hommes. Le même flottement a été observé dans la visite du chef du gouvernement, Hichem Mechichi, à Doha, du 29 au 31 mai. Laquelle visite n'a été divulguée que par les médias qataris tard dans la soirée du samedi 29 mai. Les réseaux sociaux proches du parti islamiste Ennahdha, notamment Riadh Chaïbi, le conseiller spécial de Rached Ghannouchi, le président de l'Assemblée, ont assuré que Mechichi allait au Qatar pour concrétiser les accords préparés lors de la visite de Rached Ghannouchi début mai à Doha. Chaïbi a annoncé un dépôt de deux milliards de dollars et de grandes perspectives pour la main-d'œuvre tunisienne dans l'émirat gazier du Golfe. Malheureusement pour la Tunisie, Mechichi est rentré bredouille de Doha, avec la promesse d'ouvrir le marché qatari aux ressources humaines tunisiennes, un acquis de longue date pour les Tunisiens. Forcer la main Les sphères proches du gouvernement Mechichi et de l'Assemblée accusent le président Saïed de saboter les actions du gouvernement avec les partenaires étrangers. Conclusion, rien n'a été encore concrétisé ni avec le FMI ni avec la Libye et le Qatar. Or, la Tunisie a des échéances de prêts en ce mois de juin s'élevant à 850 millions de dollars, dont les paiements risquent d'affecter les comptes de la Banque centrale. L'Exécutif tunisien n'a pas voulu se résoudre à l'entente sur le minimum nécessaire pour le sauvetage du pays, faisant face à de graves difficultés économiques et financières. Le cas de la visite en Tunisie les 2 et 3 juin du Premier ministre français, Jean Castex, pour présider le 3e Haut Conseil de coopération tuniso-français, en dit long sur ce déficit en matière de vente de l'image du pays. Castex a dû demander et insister à rencontrer le président Saïed, puisque le vis-à-vis de Castex est le chef du gouvernement, Hichem Mechichi. «Les politiques tunisiens ne veulent pas présenter leur pays comme une entité indivisible. Chaque fragment veut vanter ses prétendues œuvres et c'est le peuple qui casque les frais», insiste Noureddine Taboubi, le secrétaire général de la centrale syndicale UGTT, plutôt soucieux pour l'avenir du pays. Taboubi assure que tous les partenaires et amis de la Tunisie ne cessent de demander aux politiques tunisiens de s'unir pour faire face à la crise traversée par leur pays. «Malheureusement, la voix de la raison n'est pas encore parvenue à battre l'ego des politiques», regrette Taboubi. Aujourd'hui, le constat est plutôt alarmant. Le Budget 2021 nécessite près de six milliards de dollars pour être bouclé. Mais, deux facteurs essentiels plombent les perspectives en Tunisie. D'une part, l'autorité publique est effritée. Les partenaires internationaux ne disposent pas d'un vis-à-vis unique et homogène. D'autre part, les richesses du pays ne sont pas en train d'être exploitées, à l'image du phosphate et des usines d'engrais chimiques. Le FMI ne veut plus entendre parler de prêts internationaux pour payer les salaires des employés de la Compagnie des phosphates de Gafsa ou du Groupe chimique tunisien, deux joyaux qui ont longtemps fait le bonheur du Trésor public. Les deux unités sont aujourd'hui déficitaires pour des histoires de sit-in de chômeurs bloquant le travail depuis la chute de Ben Ali, soit plus de 10 ans. En Tunisie, il semble de plus en plus urgent de changer de modèle et d'engager des réformes, en associant tous les intervenants. Mais, faute d'entente là-dessus, il serait peut-être plausible d'aller vers des élections parlementaires anticipées, comme l'a proposé le président de la centrale patronale, Samir Majoul.
Tunis De notre correspondant Mourad Sellami Advertisements