Dire Oran, aujourd'hui, c'est en dire le caractère insaisissable. Il faudrait cent, mille livres peut-être pour cela. Kouider Metaïr est de ceux qui, sans renoncer à l'entreprise d'aller à la rencontre de la cité plurielle, n'en mesurent pas moins l'ampleur, et même la démesure de la tâche. Avec l'humilité de celui qui s'efface devant le poids de son sujet, il consacre un livre - et c'est en fait un beau livre - à Oran. En cela il n'est pas seul mais bien accompagné puisque sont associés à cette œuvre Fatéma Bakhaï, Fouad Soufi, Sadek Benkada, Yahia Belaski et Philippe Tancelin. Il fallait en effet au moins une telle gamme de profils pour raconter Oran à travers le travail des siècles, en un mot pour marquer ce qu'elle porte en elle d'historicité. Avec un parti pris qui à l'évidence est celui de tordre le cou à des croyances fortement ancrées sur le statut de la ville. Il y a une singularité, une identité oranaise qui s'exprime depuis les temps les plus reculés, et la ville en porte la mémoire. Oran suave, rieuse, enjoleuse ; mais au bout du compte digne dans le déclin comme dans le triomphe. Européenne certes, mais arabe, africaine, maghrébine, et donc profondément algérienne. Oran est à cet égard un lieu de rencontre des cultures, qui conduit à l'effacement des origines. Il y a cet art de devenir oranais dont parle d'ailleurs Kouider Metaïr. Il y a eu de la place dans cette ville pour toutes les professions de foi, et sans doute l'esprit de tolérance oranais vient-il de ces épreuves qu'elle a enduré à travers les âges. Le dialogue des civilisations s'y est affirmé, même s'il y a eu les drames terribles des conquêtes et de la domination coloniale. Oran se comprend à travers cette ferveur pieuse qui la rapproche de ses saints patrons, mais dans le même temps dans ce désir de vie qui la fait danser et chanter. Autant qu'à une architecture captatrice par les variantes qu'elle propose aux regards des visiteurs. Oran est distinguée pour ce sens festif, pour ces plaisirs tranquilles de la musique, pour ces mots qui, dans le bouillonnement du raï, transcendent les verrous de la convention la plus surranée qui craint la parole qui écorche les oreilles et les certitudes les plus faussement dévotes. Qui pourrait oublier ce que la ville doit à Sidi El Houari et à Sidi Abdelkader El Djilani ? C'est pourtant une vertu oranaise que d'accepter aussi l'autre et les yeux ne se détournent pas du fort de Santa Cruz ou de la basilique de Notre-Dame du Salut. Cette dimension œcunémique, cet élan du partage survit aux aléas du temps et les auteurs d'Oran, la mémoire, s'en souviennent lorsqu'ils citent parmi les figures emblématiques de la ville, aux côtés de Mohamed El Kebir, ou de Houari Souiah, El Hadj Abdellatif Benchehida, Charles Tapié, ou Henri Fouques Duparc. Oran a aussi ses icônes fémininines, à commencer par Halima Ziani-Benyoussef - la Caïda Halima - mais encore avec Reinette Daoud, l'Oranaise, Angèle Maraval-Bertoin, Blanche Bendaham, puis en ces temps récents Remitti ou Zahouania. Et c'est l'enseignement de ce beau livre sur Oran la mémoire, n'est pas la mémoire, si elle refoule et si elle exclut. Sans ce regard objectif et lucide sur cette ville, et sur toutes les villes algériennes, il y aurait mille et une façons de célébrer Oran. Mais, pour paraphraser Jorge Luis Borges, aucune ne serait la bonne. Oran, la mémoire, éditions Bel Horizon-Paris Méditerranée, 192 pages, 1800,00 DA