Il n'y a rien de plus mutilant, psychologiquement parlant, pour un responsable que de se voir contraint et forcé de se déjuger sous la pression de sa hiérarchie. Et ce, sans préjuger de la perte d'autorité que cela occasionne auprès de ses collaborateurs directs et du personnel d'une façon générale. C'est la double peine que vient douloureusement de subir le directeur de la santé et de la population de la wilaya de Skikda, qui avait fait le buzz sur les réseaux sociaux en publiant sur sa page Facebook un communiqué poignant alertant les autorités et l'opinion sur les décès déplorés au niveau de l'hôpital de la wilaya à cause de la pénurie d'oxygène. Des vidéos virales mises en ligne, montrant des images insoutenables de malades et de leurs parents livrés à leur sort, suspendus à l'espoir ténu, incertain, d'un approvisionnement rapide en oxygène, ont conforté, par l'image et le son, le cri de détresse de ce responsable. Mais voilà, pour un fonctionnaire, tenu par le respect de l'obligation de réserve, il se trouve qu'il y a des choses qui ne sont pas autorisées à être étalées sur la place publique. Même si elles sont prouvées et authentifiées. Pour ne pas avoir respecté, rigoureusement, ce premier commandement de la Fonction publique, le responsable de la santé de la wilaya de Skikda n'a eu d'autre choix que de se faire violence pour éviter les représailles de la tutelle. Quelques heures seulement après sa sortie médiatique qui avait fait grand bruit, il s'est fendu d'un surprenant contre-communiqué, dans lequel il nie que les décès enregistrés dans la wilaya lors de cette journée macabre soient liés à la pénurie d'oxygène, tel que souligné dans son premier communiqué, tout en imputant aux réseaux sociaux la responsabilité de la tournure prise par l'événement. Il ne fait pas l'ombre d'un doute que cette auto-mise au point, bien singulière, a été décidée sur injonction de la tutelle. Le fait n'est pas inédit, c'est même une règle qui s'est imposée à beaucoup de fonctionnaires dans l'exercice de leurs fonctions de devoir, la mort dans l'âme, rectifier le tir, suite à des déclarations à la presse ou lors de réunions publiques pointant des dysfonctionnements dans la gestion des services déconcentrés de l'Etat qui n'auront pas été appréciés par qui de droit. Veut-on faire de nos fonctionnaires des êtres sans âme, désincarnés, auxquels on impose la loi du silence, en toutes circonstances, même lorsqu'ils se retrouvent seuls face à leur conscience et à la population, affrontant des problèmes qui dépassent leurs compétences de gestionnaires locaux et que la solution tarde à venir de l'échelon centralisé ? Contraindre les fonctionnaires à mentir, à masquer les réalités vécues localement, à édulcorer les chiffres et les bilans pour sauvegarder une illusoire image de l'Etat et de l'Algérie, qui ne s'en porterait pas mieux, par la politique du déni des réalités, par la culture du complot, est politiquement contre-productif et moralement inacceptable. Que doit et que peut faire un commis de l'Etat, à l'échelon décentralisé, face à la détresse humaine, quand il est dépourvu des moyens nécessaires pour faire face aux situations d'urgence ? Quand il dépend du pouvoir central pour la planification des besoins de son établissement, la dotation en équipements de soins et ressources humaines et le déploiement des plans d'urgence, comme ce fut le cas pour la crise de l'oxygène ? Se résigner au silence, la mort dans l'âme ? S'interdire toute déclaration susceptible de déranger l'ordre établi pendant que des citoyens meurent parce que les bonnes décisions n'ont pas été prises à temps par l'autorité supérieure ? L'obligation de réserve ne doit pas être assimilée à la loi de l'omerta, elle s'efface, de facto et de jure, devant la préservation de l'intérêt public. Advertisements