Encore une fois, le dossier de la réforme du système monétaire et financier était au menu du dernier Conseil des ministres, qui, dans son communiqué final, insiste sur «la modernisation du système bancaire et financier». Certains ont conclu de cette déclaration et celle du Premier ministre, à une énième tentative de privatisation des banques publiques ! Je le répète encore une fois, cette volonté politique de réformer le secteur monétaire et financier peut échouer une nouvelle fois si elle se construit sous l'angle de la privatisation des actifs des banques publiques, d'autant que la privatisation du secteur est effective, dans la mesure où plus d'une vingtaine de banques et d'établissements financiers privés, et pas des moindres, sont en activité, sur la place financière nationale. Il est peut-être temps de faire le bilan de la privatisation de l'activité bancaire et de son apport au financement de l'économie et d'en tirer des conclusions fécondes de manière à lever les obstacles objectifs qui les empêcheraient de s'impliquer davantage, qualitativement et quantitativement, dans le processus d'intermédiation financière. Les statistiques sont d'une clarté indiscutable, puisqu'elles indiquent que la vingtaine de banques privées ne contribuent qu'à moins de 20% du financement de l'économie et que dans ces 20%, 80% sont des opérations de commerce extérieur. Quant au capital privé national, depuis ce qui a été appelé «l'affaire Khalifa», plus aucune initiative de création de banque privée nationale n'a été enregistrée au niveau de la Banque d'Algérie ! Expliquez-moi alors pourquoi la privatisation des banques publiques va contribuer à un renforcement de l'intermédiation financière de notre économie ? Est-ce cela le but recherché ? Les déclarations officielles parlent de modernisation, de monétique, d'efficacité dans l'octroi de crédit et de mobilisation de l'épargne, de conseil... ce qui implique une toute autre démarche non dogmatique, pragmatique et surtout clairement définie avec des objectifs à atteindre à court, moyen et long termes. D'où donc vient cette volonté diffuse de «liquidation» des banques publiques nationales. Il faut rappeler, à cet endroit, que la restructuration organique des entreprises publiques a été destructrice vis-à-vis du secteur monétaire et financier. En effet, désigné, par mon ministre de l'époque, président de la commission de restructuration organique du secteur des finances, en 1982, j'ai vite compris que cette opération visait à atomiser les banques publiques qui avaient atteint une taille respectable tant au niveau national que celui international. Ainsi, le dépeçage devait être systématique et sans exception, secteurs par secteurs et le secteur financier ne devait échapper à cette hérésie. Le résultat de ce rapport de force fut la création ex nihilo de deux banques(1) additionnelles (BADR et BDL) et d'une compagnie d'assurance de plus (CAAT). Alors qu'à cette époque l'économie mondiale restructurait les entreprises en multinationales et en gros trusts, par des fusion-acquisitions, absorptions, ententes, opérations boursières..., de manière à présenter des capacités technologiques et des surfaces financières en mesure de faire face à la concurrence internationale et pour remporter des parts de marché de plus en plus grandes, avec des arrière-pensées monopolistiques, les pouvoirs publics décident, à contre-courant de l'histoire économique mondiale, d'atomiser ses banques publiques en les fragilisant par la taille et le marché ! Nous nous retrouvons aujourd'hui, avec l'analyse bilancielle des banques publiques dans une situation plus que préoccupante(2), à part la BEA qui a pour client majeur le groupe Sonatrach et la mobilisation des ressources en numéraire est très faible (quelque 5000 milliards de DA sont hors banques soit 30% de la masse monétaire en circulation). Tant dans la représentation territoriale que dans l'activité intermédiation elle-même et de la qualité du service (informatisation et monétique), il nous parait clair que l'intermédiation financière reste faible(3) qualitativement (important taux de crédits toxiques) et quantitativement (crédit à l'économie) malgré les subventions publiques (bonifications des taux d'intérêts débiteurs). Il ne faut donc pas se tromper de cible de politique monétaire car il ne s'agit pas de rendre disponible le cash comme le défendent certains, mais bien au contraire de le bancariser, ce qui est une tout autre affaire. Il reste cependant à signaler que les banques publiques représentent 80% des crédits à l'économie, alors que la vingtaine de banques privées internationales et mixtes agréées(4), seulement 20 %. Cette situation structurelle héritée mérite que l'on se penche sur le problème et que l'on lève les obstacles qui nous amènent à ce paradoxe. Il est donc temps de réparer ce qui a été détruit par la restructuration organique dans le secteur monétaire et financier en reconstruisant un schéma bancaire avec deux banques publiques(5) par absorption des actifs des trois autres. Cette fusion a pour objectifs principaux d'accroitre la surface financière des deux futures institutions financières, d'augmenter leur représentation territoriale et d'agrandir le réseau (il y a seulement 1.664 agences bancaires de différents niveaux actuellement) à moindre coût, d'introduire la normalisation et standardisation des activités bancaires, d'intensifier l'informatique et la monétique, de redéployer les ressources humaines(6) et de les optimaliser. Enfin, en matière de financement de l'investissement, la création, de nouveau, de la BAD (banque algérienne de développement) par l'absorption de la CNI (caisse nationale d'investissement) et de ses appendices, ce monstre bureaucratique, sans nom, devrait boucler le système. Aller vers un changement radical et non pas se contenter de mesurettes nécessite une décision politique au plus haut sommet de l'Etat, afin de mettre sur le rail du changement le secteur monétaire et financier, qui en a tant besoin. Mourad Goumiri , Professeur associé
1)- Pour la petite histoire, nous fumes obligés, dans certains cas, de séparer par un mur une même agence, pour créer le réseau des nouvelles banques et ce fut la même chose pour la compagnie d'assurance nouvellement créée ! 2)- Je ne cesserais pas de citer A. Benachenhou qui avait déclaré, comme ministre des Finances, que «les banques publiques sont un danger pour la sécurité de l'Etat». C'est peut-être cette phrase qui explique son départ précipité de son poste. 3)- L'une des fausses solutions proposées est celle qui consiste à recruter des super-administrateurs pour garnir les Conseils d'administration des banques publiques. Il s'agit de changer le mode de gouvernance des banques et non les personnes ! 4)- Les banques privées internationales développent leur action en particulier sur le commerce extérieur et sont très peu présentes pour le financement de l'exploitation et encore moins pour l'investissement. Certaines s'adonnent carrément à des opérations illégales d'exportation des capitaux. 5)- Il y a actuellement la BEA, la BNA, le CPA, la BADR et la BDL, la CNEP étant une caisse d'épargne (institution financière non monétaire) comme banques publiques. Ces cinq banques peuvent très facilement fusionner pour créer deux banques publiques sur simple décision de leur actionnaire unique qui est l'Etat via le ministre des Finances. 6)- Il est très clair que les banques étrangères, installées en Algérie, ont écrémé les meilleures ressources humaines en les débauchant des banques publiques qui les ont formées et qui leur ont permis d'acquérir une expérience précieuse. Advertisements