Trois organisations internationales de défense des droits de l'homme ont déclaré dans un communiqué commun, rendu public jeudi dernier, que l'amnistie générale proposée par le président Bouteflika « risque de légaliser l'impunité pour les crimes contre l'humanité et de priver les victimes et leurs familles de leur droit à la justice, à la vérité et à la réparation ». C'est la première fois depuis des années que Human Rights Watch (HRW), Amnesty International (AI) et la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) ont joint leurs signatures pour déclarer que même si aucun projet de loi concernant l'amnistie générale n'a été rendu public, « les rapports officiels indiquent que la loi accordera l'exemption de la poursuite à n'importe quel membre d'un groupe armé, d'une milice d'Etat armée ou des forces de sécurité pour des crimes commis au cours du conflit, y compris des graves violations des droits de l'homme. Cette proposition vient après des années d'échec par les autorités algériennes à enquêter sur les violations des droits de l'homme commis pendant le conflit interne qui a commencé en 1992 ». Cet échec, ont ajouté les signataires, est « d'autant plus grave que certaines de ces violations sont équivalentes à des crimes contre l'humanité ». De ce fait, ont souligné ces associations, « l'amnistie conduisant à une impunité pour les crimes contre l'humanité et autres violations sévères des droits de l'homme, comme la torture, les exécutions extrajudiciaires, les "disparitions" vont à l'encontre des principes fondamentaux du droit international ». HRW, AI et la FIDH ont affirmé en outre que « des dizaines de milliers » d'hommes, de femmes et d'enfants civils ont été tués dans « des attaques violentes, des milliers ont été torturés lors de leur détention, des milliers » ont disparu « après leur arrestation par les forces de sécurité ou ont été enlevés par les groupes armés et sommairement exécutés. Dans la majorité des cas, les autorités n'ont pas agi pour clarifier les circonstances des crimes et pour présenter les suspects à la justice, en dépit des efforts inlassables des victimes et de leurs familles à la recherche de la vérité (...) ». Dans un tel contexte, ont noté les trois ONG, « l'amnistie générale laisserait l'héritage d'un passé non résolu et pourrait miner de manière permanente les perspectives de l'avenir, notamment pour la protection de droits de l'homme ». Pour elles, une telle démarche « empêcherait la vérité au sujet des crimes du passé et toutes les chances de s'assurer que la justice et la responsabilité deviennent une partie d'une transition vers la paix (...). Une telle amnistie sanctionnerait également le manque de recherches sur des milliers de "disparitions" ». Respect des engagements Ces ONG ont rappelé par ailleurs la mise en place par le président de la République du comité ad hoc chargé de mettre la lumière sur ce dossier tragique et brûlant lié aux disparus, en notant que « la reconnaissance officielle des milliers de "disparitions" commises par des agents d'Etat est un développement significatif », regrettant néanmoins que ce comité n'ait pas eu un mandat pour clarifier le destin de ceux qui ont « ‘'disparu'' ou pour identifier ceux qui sont responsables ». Elles ont reconnu que les Algériens sont à même de régler leur crise dans « des discussions nationales » où la liberté d'expression, de réunion, d'association et du droit à l'information sont garantis et respectés. « Cependant, les principes fondamentaux de la vérité, de la justice et de la réparation ne peuvent être compromis. » Les signataires ont donc exprimé leur « opposition à des amnisties, à des pardons et à des mesures semblables qui empêchent l'apparition de la vérité, d'une détermination juridique finale de culpabilité ou de l'innocence, et à de pleines réparations aux victimes et à leurs familles ». Elles ont rappelé au gouvernement algérien le fait qu'il « ne peut échapper » à ses engagements internationaux en adoptant une législation nationale allant à l'encontre de ceux-ci, que cela soit fait par voie référendaire ou parlementaire. « Le respect des lois fondamentales liées aux droits de l'homme ne peut être sujet à un vote majoritaire. Les amnisties, les pardons et les mesures nationales semblables qui mènent à l'impunité pour des crimes contre l'humanité et d'autres abus ou violations des droits, tels que la torture, exécutions extrajudiciaires et "disparitions", violent les principes fondamentaux du droit international... » Les signataires ont « réitéré » leur souhait de voir le gouvernement algérien « répondre » positivement à toutes les victimes des violations des droits de l'homme en quête de vérité, de justice et de réparation. « De telles garanties sont essentielles à n'importe quel processus de la réconciliation, entre autres mesures, et donnent les bases solides à l'avenir de la protection des droits de l'homme ». Enfin, HRW, AI et la FIDH ont rappelé les différents dispositifs de clémence, mis en place par les autorités, notamment de la concorde civile en affirmant que « les rapports faits par des militants locaux, des victimes et leurs familles indiquent que (...) des milliers de membres armés ont été exemptés de poursuites, sans aucune évaluation sur leur participation ou non à des violations des droits de l'homme. Un décret présidentiel en janvier 2000 a accordé l'amnistie aux centaines de membres de certains groupes armés qui avaient déclaré des cessez-le-feu en 1997, indépendamment de leur participation ou non à des violations de droits de l'homme ».