La décision du président tunisien, Kaïs Saïed, de désigner le 11 octobre dernier une femme à la tête du gouvernement constitue, de l'avis d'une grande majorité d'observateurs, une importante avancée en matière d'égalité des genres. C'est la première fois, en effet, qu'une femme accède à ce niveau de responsabilités dans le monde arabe. Pour paraphraser Kateb Yacine, cette initiative vaut assurément son pesant de poudre. Il faut juste espérer que le président Saïed n'ait pas intronisé Najla Bouden à la place de Hichem Mechichi uniquement pour se trouver un alibi afin de convaincre les modernistes de soutenir son coup de force. La question se pose, car le timing choisi pour confier à la géologue les rênes de l'Exécutif tunisien est discutable. Vue sous cet angle, sa nomination à la tête du gouvernement s'apparente même à un cadeau empoisonné. Pourquoi ? Le contexte politique, social et économique dans lequel la géologue hérite du gouvernement est des plus difficiles. L'Exécutif éprouve d'ailleurs des difficultés actuellement pour boucler son budget. Il est attendu justement du gouvernement Bouden qu'il relance les négociations avec le FMI pour trouver des financements. Il faut savoir que la crise tunisienne, caractérisée par une croissance en berne depuis 10 ans et une forte inflation (6% par an), a été aggravée par la pandémie de Covid qui a mis le pays à l'arrêt et l'a privé de cruciales recettes touristiques. Le PIB a ainsi plongé de 8,8% en 2020, une chute qui devrait être à peine compensée de moitié cette année. Quand l'économie va mal, c'est évidemment le social qui en paye le prix fort. Pour ce qui concerne précisément ce domaine, les chiffres sont aussi inquiétants. Selon les médias tunisiens, le chômage est ainsi passé de 15% avant la pandémie à près de 18%. Un cinquième des 12 millions d'habitants sont considérés comme pauvres ou vulnérables. Les autorités ont dû, selon les mêmes sources, creuser la dette qui approche déjà les 80% du PIB pour payer les fonctionnaires. Tous ces facteurs nourrissent régulièrement d'ailleurs des mouvements de protestation. En plus de cette donne, Najla Bouden aura également à dénouer les fils de la crise politique induite par la décision du président Saïed de dissoudre le Parlement et de s'arroger pratiquement tous les pouvoirs. On le voit bien, la responsable de l'Exécutif sera sollicitée sur plusieurs fronts. Elle n'aura absolument pas la tâche facile, d'autant qu'elle aura des prérogatives réduites et qu'elle n'a aucune expérience particulière en matière de gouvernance. En réalité, on ne lui demande rien de moins que de réussir là où tous ses prédécesseurs ont échoué. Ce qui est déraisonnable. Si Kaïs Saïed voulait vraiment faire avancer la cause des Tunisiennes, il aurait dû réellement mettre Najla Bouden dans des conditions qui auraient pu lui permettre de relever le défi de remettre la Tunisie sur les rails. Or, ce n'est pas du tout le cas. Et de cette expérience, il est possible même que les Tunisiennes en sortent politiquement perdantes. Espérons que non. Advertisements