Les rosiers et les petits jardins particuliers qui faisaient des lieux un véritable paradis, il y a quelques années seulement, ont été comme engloutis et remplacés par des amoncellements de déchets, du béton hideux, de la tôle, et ce n'est pas tout. Ben M'hidi n'est aujourd'hui qu'un grand douar en bord de mer. Un prestige posthume. On se dispute cette cité à chaque été et on la largue ensuite aux oubliettes. Elle abrite aujourd'hui plus de 16 000 habitants. Une population qui dépasse celle de plusieurs communes de la wilaya de Skikda, plus de 17 communes, et qui équivaut à celle des daïras de Ouled Attia et d'El Hadaiek. Mais cette densité ne l'a jamais prédisposée à attirer les regards. Bien au contraire, elle ne fait qu'accentuer son marasme. Ben M'hidi est certainement la plus grosse bévue de Skikda. Au courant des années 1990, Sonatrach qui gérait la cité décida d'accorder des cessions au profit des habitants des chalets. C'est à partir de cette période que Ben M'hidi allait être léguée au « misérabilisme » alors qu'elle était prédestinée à un avenir des plus radieux. Un joyau balnéaire transformé en moins de dix ans en une cité maudite où il ne fait plus bon vivre. Située à moins de 13 km à l'est de Skikda, commune dont elle dépend administrativement, Ben M'hidi continue à être considérée comme un simple quartier de la ville qu'on gère avec des moyens insignifiants. Un exemple ? Pour collecter les 3 t de déchets générés en moyenne par jour, on n'utilise qu'un camion qui doit recourir au bricolage pour assurer le minimum. Un autre exemple ? Pour assurer la maintenance de l'éclairage public de plus de 7 camps de la cité, on n'emploie qu'un seul électricien. Les aberrations sont multiples et les maux de la cité n'ont cessé de s'accroître d'année en année, une situation qui allait en fin de compte aboutir à un état d'insécurité qui plonge les lieux dans une psychose généralisée. « Un climat d'insécurité... » Les habitants de la cité sont outrés. Ils ont même fait circuler une pétition pour dénoncer l'état d'insécurité et demandé, dans une requête adressée au wali de « mettre un terme à de tels agissements (vols, agressions...) ». Devant la terrasse d'un café engouffré au cœur de la cité, on rapporte avec détails et insistance les multiples vols de chalets. « Ça devient invivable. Nous avons peur de laisser nos chalets et la nuit nous ne fermons plus l'œil. Il ne se passe pas un jour sans que nous ayons vent d'un vol ou d'une tentative d'effraction », témoigne un habitant. On énumère les multiples vols de véhicules, les agressions et les rackets. « En moins d'une année, huit véhicules ont été volés. On a même volé les câbles téléphoniques et électriques. ça fait deux mois que nous sommes sans téléphone. Même le parc communal n'a pas été épargné puisque le camion de l'APC y a été dérobé et le gardien molesté. » Les habitants rapportent plusieurs exemples de vols. « On vole même en plein jour, et on ne recule devant rien. Les voleurs vont jusqu'à tenter d'agresser les occupants dans leur propre demeure. Il faut le dire, nous vivons dans la psychose. » Au niveau de la brigade de la gendarmerie, on estime que la situation ne serait pas si alarmante. « C'est vrai que nous enregistrons des vols, mais nos éléments sont quotidiennement sur le terrain jour et nuit. Nous suivons de très près toutes les plaintes déposées par les citoyens et il ne se passe pas un jour sans que nous ayons à interpeller des bandes de malfaiteurs », tiendra à mentionner le chef de brigade. Et d'ajouter : « Sans la coopération et l'implication directe des citoyens, le phénomène ne peut être définitivement réglé. » A un autre niveau, le commandant du groupement de la gendarmerie de la wilaya tiendra d'abord à exposer le bilan de la brigade : « En moins de deux semaines, nos éléments ont réussi à restituer le camion volé à l'antenne communale et ont mis la main sur une bande spécialisée dans le vol des chalets. Cinq jeunes délinquants ont été appréhendés et présentés à la justice. Nous sommes conscients de la prolifération du phénomène des vols. D'ailleurs nous venons juste de décider d'un renforcement du dispositif du plan de lutte contre la criminalité. La cité Ben M'hidi fait partie des agglomérations retenues par le groupement et devra donc voir le dispositif de lutte renforcé en moyens humains et matériels. Pour ce faire, nous avons décidé d'impliquer nos éléments du groupe d'intervention de réserve et des escadrons de la sécurité routière. Seulement, et on ne cessera jamais de le répéter, sans l'implication et le concours des habitants les tentatives de venir à bout de ce fléau risquent de ne pas avoir l'effet escompté. » Cet état d'insécurité, un fait assez vérifiable sur le terrain, est cependant encouragé par plusieurs facteurs, à commencer par le développement anarchique de la cité. Tel un labyrinthe, la configuration de Ben M'hidi ne permet pas de disposer d'un terrain d'intervention et de surveillance conséquents. A cela s'ajoutent le manque flagrant de l'éclairage public et aussi, il faut avoir le courage de le dire, l'incivisme dont font preuve certains habitants. Encouragées des fois par la non-dénonciation, les bandes de jeunes voleurs ont fini par agir en terrain conquis. Dans leur pétition, les habitants suggèrent « l'implantation d'un arrondissement de police », ce qui facilitera, selon eux, la prise en charge d'une cité dont la population a plus que doublé. Cette demande reste cependant conditionnée par certains paramètres car Ben M'hidi dispose déjà d'une brigade de gendarmerie. La présence de deux corps de sécurité dans cet espace risque d'engendrer, aux dires d'un officier de la gendarmerie un enchevêtrement des prérogatives territoriales. Au niveau de la direction de la sûreté de wilaya, le directeur avance que le projet d'implantation d'une sûreté urbaine à Ben M'hidi date de plusieurs années. Il dira à cet effet : « Nous sommes entièrement disposés à conjuguer nos efforts pour le bien et la sécurité des citoyens. Nous attendons seulement de bénéficier d'une assiette pour la construction de l'arrondissement. » Apparemment et sous toute réserve, le nouveau commissariat de Ben M'hidi devra être implanté juste en face du projet du nouveau lycée. Du moins c'est ce qu'on a cru comprendre lors d'une récente visite du wali sur les lieux. « Cette APC qui nous oublie... » Les citoyens, rencontrés près de la terrasse du café, ont utilisé d'une façon unanime et répétitive cette phrase : « On est livrés à nous-mêmes ! » Une façon de dire aussi que les responsables locaux ne pensent qu'aux plages de Ben M'hidi. Ils accusent la commune de les avoir oubliés au profit des pavoisements folkloriques et occasionnels qui se répètent à chaque saison estivale. « On ne s'occupe que de la route de la plage », rapporte un habitant. Et d'ajouter : « On l'éclaire, on la balaie, pour donner une image propre des lieux, alors qu'il suffit juste de faire quelques pas du côté des camps de la cité pour se croire dans une décharge à ciel ouvert. » Ben M'hidi manque de tout, à commencer par l'essentiel, c'est-à-dire la propreté. Les déchets jonchent les routes poussiéreuses et détériorées. Un habitant témoigne : « Il arrive que le camion de l'APC ne passe que deux fois par semaine, ce qui fait que les déchets s'entassent. » Le délégué communal de Ben M'hidi rétorque : « Ecoutez, nous n'avons pas assez de moyens. En plus, il faut le dire, le ramassage d'une partie des déchets est normalement assuré par Sonatrach qui est liée par une convention avec un privé. » Pour Sonatrach, cette déclaration est totalement fausse. Un cadre en relation directe avec la gestion des camps affirme : « Je démens catégoriquement. Sonatrach n'est pas responsable du ramassage des ordures ménagères de la cité. C'est l'affaire de la commune. La seule et l'unique convention qui existe à ce sujet concerne exclusivement quelques chalets où logent des expatriés. » L'antenne communale ne dispose que d'un camion qui doit assurer le ramassage de plusieurs cités en plus de deux casernes. Un volume trop important pour prétendre mener à bien cette mission. Le délégué de l'APC déclare également : « On ne peut pas tout faire et nous manquons terriblement de moyens. » Il va jusqu'à exposer plusieurs correspondances adressées à la tutelle (APC de Skikda) pour demander des moyens plus appropriés. « Vous devez savoir que le personnel chargé du ramassage des ordures se limite à six employés. Comment voulez-vous alors que nous puissions accomplir notre mission ? Cependant nous nous efforçons de faire de notre mieux et nous restons à l'écoute des doléances des citoyens. Nous avons réalisé plusieurs projets et nous entendons faire mieux encore », tient-il à ajouter. Les habitants, quant à eux, demandent à voir. Ils estiment que l'APC n'en fait pas assez, pour ne pas dire qu'elle est totalement absente. Ils citent à titre d'exemple l'absence d'éclairage public, des trottoirs dans toute la cité, le problème du réseau d'AEP et celui épineux de l'assainissement. Beaucoup de lacunes que les habitants gèrent seuls en recourant à un véritable système de touiza. Ils racontent : « Nous avons une école qui ne dispose pas d'eau courante. Nous avons convenu avec un citoyen de l'alimenter par citerne. Regardez par là, c'est une pompe à eau qui alimente à partir des puits plus de 7 camps. Regardez dans quel état se trouve sa toiture, on vient de décider de réparer les lieux à titre bénévole. Les fosses septiques sont pleines et l'APC ne fait rien à ce sujet. » Le délégué communal rapporte à ce sujet que la commune a déjà réalisé 8 projets d'assainissement et qu'elle a contribué au renforcement de l'alimentation en eau par l'achat d'une pompe remise aux associations de la cité. « Nous regardons passer les bus... » Côté infrastructures, Ben M'hidi reste le parent pauvre de Skikda. Il n'existe qu'un seul centre de soins pour couvrir les besoins de plus de 16 000 habitants. Il ferme ses portes à 16 h et si une urgence venait à se manifester, il faudrait au malade parcourir plus de 14 km pour se faire soigner. Par ailleurs, si les postes de la Protection civile pullulent le long des plages ; à la cité, il n'en existe aucun. Si le feu prend dans un des chalets, c'est pour le consumer entièrement. Par ailleurs, les jeunes de Ben M'hidi passent trois saisons sur quatre à se tourner les pouces, alors que d'autres trouvent dans les drogues ou les agressions des occupations de rechange. Il n'y a ni aire de jeux, ni centre culturel, ni bibliothèque. Un no man's land. Aussi Ben M'hidi vit comme une malédiction le manque de transport. Les lycéens sont obligés de faire la navette. A ce sujet, les habitants racontent : « Dans la théorie, Ben M'hidi dispose de dix dessertes. Mais dans la pratique elle doit se contenter des places vides de Fil Fila. » Ce qui veut dire que les habitants de Ben M'hidi doivent faire le guet et espérer trouver des places dans les bus qui desservent Fil Fila et qui passent par leur agglomération. Pourtant, comme nous le confirme le directeur des transports de la wilaya, « il y a dix bus réservés exclusivement à Ben M'hidi mais ils ne respectent pas les règles. D'ailleurs, nous allons très bientôt revoir ce problème en introduisant des règles plus draconiennes pour assainir la situation ». Certains habitants rapportent que les bus ayant bénéficié de la ligne de Ben M'hidi préfèrent plutôt s'orienter vers le transport du personnel au profit des entreprises pétrolières et ce au détriment des habitants et des écoliers de la cité. Une situation qui a toujours existé et qui a longtemps été encouragée par l'absence d'une intervention de l'administration. Avec tout ces problèmes, on continue à attribuer le terme « balnéaire » à Ben M'hidi. Ben Balnéaire, dites-vous ?