Depuis quelques années, on détruit, on rase et on anéantit des bâtisses anciennes plus que centenaires. Et l'on s'empresse de les remplacer par ce qui va rapporter gros. D'abord la gare, un bel édifice public datant de 1876 qui pouvait être restauré et côtoyer la nouvelle bâtisse en construction (à l'instar de la gare de Mouzaïa restée en l'état et dont seul l'étage du dessus — logement de fonction — est occupé) et qui a été réduit à néant en un temps record sous le regard ahuri des riverains. Il y a déjà eu, par le passé, l'ancienne école professionnelle datant du début des années 1920, devenue, par la suite, collège technique et qui, pour les besoins de l'agrandissement de la mosquée, a été démolie il y a dix ans.Par ailleurs, une école primaire, qu'aucun séisme en plus de huit décennies n'a fait “frémir”, est menacée, à son tour, de disparition. Des mains malveillantes ont œuvré dans ce sens. Réduite à un état de bidonville effroyable, elle a délibérément été saccagée en vue d'être désaffectée. D'abord, le mobilier (bureaux, armoires, estrades, tableaux…) a servi de bois de chauffage avant que le carrelage et les murs ne subissent les effets des coups de massette et de burin. Le moindre espace y a été squatté : d'abord les classes, puis le préau, les toilettes et la cour où des gourbis ceints de roseaux, de plaques de tôle rouillée et autres matériaux de fortune ont été dressés. Des dizaines de familles en détresse, des laissés-pour-compte y ont installé leurs pénates. Devant l'ampleur des dégâts, les autorités ne voient, aujourd'hui, qu'une solution : faire disparaître l'école dont les murs épais sont toujours debout et reconstruire, à sa place, une autre qui garde le même cachet. Un leurre ! Les citoyens savent que cette perte est irremplaçable. Un joyau architectural qui pouvait sans doute “tenir deux siècles encore dans le pire des cas”, nous assure un octogénaire, ancien entrepreneur des travaux publics. Près de 350 élèves y ont été retirés, il y a vingt ans, sous prétexte qu'elle menaçait ruine.Ces enfants de 5 à 12 ans ont alors été éparpillés dans des écoles éloignées, nouvelles mais à la construction ô combien précaire ! D'ailleurs, à peine avaient-elles été bâties que des équipes du CTC dressaient un constat effrayant : il faut dire que le séisme de 1987, de légère magnitude, les avait sérieusement endommagées. Contrairement à l'ancienne école qui était restée intacte. Par ailleurs, des maisons datant de l'époque coloniale et ayant appartenu à de riches colons, avec perron, jardin et toit de tuiles rouges sont détruites. Généralement situées au centre-ville, elles sont revendues au prix fort. L'acquéreur n'a en tête qu'un but : rentabiliser l'espace. L'heure est, en effet, au profit et à la rentabilité : des magasins, un centre commercial… l'argent ! Mais pas de place pour un arbre, une fleur ni même une touffe de mousse. On détruit, on rase, on anéantit. Et l'on s'empresse de remplacer par ce qui va rapporter gros. Des maisons arabes anciennes avec patio et azulejos sont aussi touchées par le fléau de la démolition, les jeunes héritiers se trouvant dans l'obligation de construire en hauteur…El Affroun est défigurée, aujourd'hui. La ville a subi une métamorphose en un rien de temps. Une mue dégénératrice. Autrefois un village coquet où il faisait bon vivre, il est devenu hideux. Sans marque aucune. Sans cachet particulier. Sans âme. L'esthétique, l'harmonie sont totalement absents dans les plans de construction (qui font fi des règles élémentaires de l'urbanisme). C'est à qui construit plus haut, plus cossu…, plus moche. Le manque de goût est flagrant. Les rares maisons basses aux toits de tuiles “se font petites”, aujourd'hui étouffées et détrônées par les étages mitoyens qui les surplombent avec dédain. Chacun y allant de son inspiration, de son appétit, de son argent… Le dernier jardin grillagé qui restait à El Affroun, vient d'être circonscrit par des murs hauts et froids (de véritables remparts). Son propriétaire a tenu quatre décennies avant de faire comme les autres : garder pour lui-même ce joyau, un écrin de verdure, une oasis en plein centre urbain. Quel dommage !“Il faut suivre la mode ou quitter le pays”, dit l'adage. Et la tendance n'est pas à faire beau mais à faire utile, à faire lucratif, comme son voisin. Comme tous les autres. Quel piètre paysage laisse-t-on aux générations futures ! Et ce n'est pas fini. Le processus d'enlaidissement, véritable lubie destructrice qui s'est installée dans les esprits, se poursuit avec bien des démolitions en vue. F. SEMAN