L'idée est que depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis et la réactivation de l'article 5 du traité de Washington sur « la défense collective », l'OTAN entend harmoniser les efforts des 26 pays membres pour faire face aux « nouvelles menaces ». « Disperser les efforts est une erreur stratégique », commente un expert militaire au sein de l'alliance. Si l'on ne voit pas d'un mauvais œil le fait que l'Europe améliore son système de défense, l'on estime, par contre, qu'elle en fait peut-être trop. « L'Europe a été incapable de régler seule le conflit en ex-Yougoslavie. Si les forces de l'OTAN n'avaient pas intervenu dans cette région, il y aurait eu un génocide sans pareil dans l'histoire de l'humanité », relève un diplomate américain en poste à Bruxelles. Il note que les Européens n'ont pas les capacités nécessaires pour lancer des opérations militaires d'envergure telles que celle du Kosovo. « Et il y a de fortes chances qu'ils n'en auront pas d'ici à 20 ans ! », tranche-t-il. Le budget de défense européen, estimé à 180 milliards d'euros par an, est qualifié d'insuffisant. Autant que la taille opérationnelle des effectifs : 2 millions de soldats européens. L'armée royale de Belgique est citée en exemple. Plus de 70% du budget de cette armée sont consacrés aux frais de personnels. Le reste sert à financer les programmes de formation, les équipements et les actions de recherche et développement (R et D). « Et ce n'est pas le pire des cas », prévient-on. Martin Koopmann, de la Société allemande de politique étrangère (DGAP), relève, dans une analyse, un autre problème : l'absence d'unité entre les Etats européens autour des approches stratégiques et géopolitiques. La position de l'Europe par rapport à l'invasion américaine de l'Irak a mis à nu cette situation. « La crise irakienne montre à quel point une coopération politique et stratégique entre Paris, Berlin et Londres serait nécessaire pour faire de l'Union un acteur cohérent en matière de politique étrangère et de sécurité », estime Martin Koopmann. La Grande-Bretagne, l'Allemagne et la France, les principaux Etats de l'Union européenne (UE), divergent sur certaines questions internationales. Et cela est vu comme une menace sur l'avenir de l'OTAN. Le même diplomate américain demeure attaché à la conviction d'Henry Kissinger, ancien secrétaire d'Etat, sur l'Europe : « Quel téléphone appeler pour parler avec l'Europe. » Et la Constitution européenne en phase d'adoption par les citoyens et les sujets de l'Europe ? « Cela va prendre beaucoup de temps pour que les mécanismes soient mis en place », prévient-on. Et on s'amuse à citer l'exemple français sur les doutes qui entourent le « oui » pour cette Constitution. Ce projet, agréé au sommet européen de juin 2004, prévoit la création d'une agence européenne de l'armement, de la recherche et des capacités militaires. Et la création de la European Defence Agency (Agence de défense européenne, EDA) a eu lieu en juillet 2004. Elle a pour objectif de « préserver la capacité de l'Union de conduire une politique extérieure et de sécurité cohérente ». Le Britannique Nick Witney a été nommé directeur de l'agence. Dès le départ, il a annoncé la couleur : l'Europe doit, selon lui, se pencher sur les raisons de la faiblesse de ses investissements en matière de recherche sur les technologies de défense. Il trouve inutile pour l'Europe de chercher à accroître le volume des dépenses militaires pour « se rapprocher des niveaux américains ». Les dépenses militaires actuelles des Etats-Unis tournent autour de 435 milliards de dollars par an. Depuis l'arrivée du républicain George W. Bush à la Maison-Blanche, ces dépenses ont pris du volume à cause, entre autres, de l'engagement des troupes US en Afghanistan et en Irak. « Forteresse Europe » Chaque Etat membre de l'Union européenne doit, pour l'exercice 2005, contribuer par 19,9 millions d'euros au budget de l'EDA. Les Etats intéresses par des recherches restreintes sur l'armement se chargeront eux-mêmes de financer les opérations. L'EDA est chargée de développer les capacités militaires européennes en liaison avec les autres structures comme la Headline Task Force (HTF) et l'état-major de l'UE (EMUE)· Elle doit renforcer l'efficacité de la recherche et technologie de défense européenne et gérer directement les contrats qui en sont liés. L'EDA - point important - doit promouvoir les acquisitions d'équipements de défense. Pour ce faire, l'agence travaillera en collaboration avec l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAr), organisme peu médiatique, mais qui a un rôle stratégique dans le développement des programmes en coopération. Actuellement, les experts de l'agence passent au peigne fin les besoins européens dans le domaine de ce que les militaires appellent les C3 (communication, commandement et contrôle). Autre projet à l'étude : l'amélioration du système ISTAR relatif au renseignement et à la reconnaissance. A cet effet, l'EDA planche sur la possibilité de fabriquer des drones (avions sans pilote) hautement perfectionnés. Parallèlement, une étude est lancée pour analyser les besoins européens en matière de véhicules blindés. Côté américain, on estime que l'Europe doit « acheter utile » ses équipements militaires. Le constat est que les troupes européennes manquent de moyens de transport aérien. « Savez-vous que l'Algérie a plus d'avions de transport des troupes et de matériel que l'Europe ! », explique un expert militaire. Selon lui, l'Europe a tendance à emprunter des appareils à l'Ukraine pour le transport des soldats. L'Ukraine, qui rame pour s'accrocher au train européen, est liée à l'OTAN par une charte de « partenariat spécifique » établie en 1997. Charte qui porte, entre autres, sur « le contrôle démocratique des forces armées, la réforme de la défense et la conversion de l'industrie de défense ». « L'UE doit avoir une politique robuste complémentaire à celle de l'OTAN », estime cet expert américain. Il fait les éloges de la Force de réaction de l'OTAN (NRF). Il prévient contre toute concurrence ou « gaspillage » d'efforts. Les hauts responsables de l'UE s'étaient engagés, en 1999, à mettre en place une force de réaction rapide pouvant mobiliser 60 000. Cet objectif ne semble pas avoir été atteint. Un diplomate critique, lui, la PESD d'une manière crue. « Il n'y a pas de menace qui pèse sur les territoires européens », estime-t-il. Autrement dit : pourquoi établir une Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) alors que tout peut se « régler » ou être « pris en charge » au sein de l'OTAN transformée ? L'Europe et l'OTAN ont établi des accords de coopération militaire dit « Berlin plus ». Des accords qui permettent l'utilisation des moyens de l'alliance lors des opérations dirigées par l'UE. « L'OTAN est favorable au développement d'une identité européenne de sécurité et de défense », estime un responsable de l'alliance prenant un ton diplomatique. Mais l'inquiétude existe quant à savoir ce que veut faire l'UE à travers la PESD. Cette question est à mettre au même niveau de préoccupation que la défense anti-missiles balistiques. Certains parlent de la construction de la « Forteresse Europe ». L'UE entend, par exemple, transformer le Centre satellitaire de Torrejón en Espagne en une organisation opérationnelle de défense. La PESD, qui complète la Politique étrangère de sécurité commune (PESC), est en phase de mettre en place une chaîne efficace de renseignement. Cela risque d'être un casse-tête pour l'OTAN qui ne possède pas encore un outil d'« intelligence gathering » (collecte de renseignements). L'échange d'informations entre les 26 Etats membres de l'OTAN est jugé faible. A travers la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD), l'Union européenne entend démontrer que la puissance économique des pays membres permet de jouer dans le terrain de la défense. Et pourquoi pas de « l'attaque » ! Cependant, et depuis son lancement à travers le traité d'Amsterdam, la PESD a donné des signes de mauvais démarrage. Les accords « Berlin plus » devaient donner du souffle à cette politique à des niveaux différents. L'UE, par le biais de la PESD, veut, entre autres, créer un commandement de transport aérien stratégique, une capacité de protection, un système d'aide humanitaire d'urgence, des centres européens de formation, un quartier général multinational déployable pour des opérations conjointes.