C'est la boîte de Pandore », disait le président français Jacques Chirac à propos de l'Irak. Lui, le connaisseur de ce pays, ne croyait pas si bien dire, et ses propos n'avaient rien de prémonitoire. Ils s'inspiraient de la réalité politique, ethnique et sociologique d'un pays sans Etat et sans loi. Les observateurs n'en veulent pour preuve que l'état de déliquescence actuelle, la poursuite de l'occupation, l'illégitimité des nouveaux élus et l'éveil, voire le renforcement du réflexe communautaire. Tout le monde attaque tout le monde, car en fin de compte, les armes en circulation sont fort nombreuses, et les cibles tout autant. Et le pire peut se produire, car les barrières entre communautés semblent parfois bien réelles, et les tractations pour former un gouvernement en disent long sur leur étendue. C'est pourquoi tout indique que l'Irak est tout menacé d'éclatement en dépit de propos rassurants. Tout récemment, un responsable chiite, accusant les sunnites d'être responsables des violences contre les membres de sa communauté, les a mis en garde contre une possible riposte, en l'absence de gouvernement constitué, et dans un climat de violence redoublée. Au lendemain d'un attentat commis contre une mosquée chiite de Baghdad, en pleine prière du vendredi (9 morts), le gouverneur de la ville sainte de Najaf et haut responsable du Conseil suprême de la révolution islamique (CSRII), le principal parti chiite irakien, a clairement désigné les sunnites. « Nous rejetons la responsabilité de ces actes sur les membres de la communauté sunnite, et nous leur demandons de condamner ces agissements criminels pour ne pas être obligés d'y riposter », a déclaré Assad Abou Qalal. L'attentat, qui n'a pas été revendiqué, était le dernier d'une longue série d'attaques contre les chiites, majoritaires en Irak, dont la plus sanglante a fait 118 morts fin février dernier à Hilla, à 100 km au sud de Baghdad. Cette déclaration est l'avertissement le plus clair jamais adressé par un responsable chiite aux sunnites, accusés de fomenter les violences et de saboter le processus de transition politique après avoir perdu la suprématie dans le pays avec la chute du régime de l'ancien président, Saddam Hussein. Et pour bien cerner ce cercle décidément bien fermé, et où les contradictions s'exacerbent, les personnalités sunnites réunies ont demandé un poste de vice-Premier ministre et 7 ministères. « Pour que les Arabes sunnites ne soient pas tenus responsables du retard regrettable dans la formation du gouvernement (...) nous annonçons notre disposition à participer à un cabinet d'union nationale à la demande de la Liste unifiée irakienne (chiite) et celle de la coalition kurde », ont-ils indiqué. Leur réunion a regroupé les représentants de deux groupes sunnites, le Conseil de dialogue national et le Front des forces nationales, non représentés au Parlement, qui ont rencontré vendredi le président Jalal Talabani, un Kurde, qui a insisté sur un cabinet d'union nationale. L'un des membres de la délégation, Saleh Motlak, a indiqué que ces personnalités sunnites demandaient comme « seuil minimum 7 ministères, dont un ministère de souveraineté en plus d'un poste de vice-Premier ministre ». Les sunnites, qui ont largement boycotté les élections du 30 janvier, n'ont fait élire que 16 députés au Parlement de 275 membres qui est dominé par les élus de la liste chiite (146) et ceux de la coalition kurde (77). M. Talabani s'est dit frustré par le retard dans la formation du gouvernement, qui a été confiée le 7 avril à Ibrahim Al Jaâfari, de la liste chiite. Et le mot aujourd'hui certainement le plus utilisé est : réconciliation. Avec bien entendu une communauté qui a perdu le pouvoir total qu'elle exerçait depuis des décennies, sans lien avec son poids démographique. Il est vrai que le boycott a été fatal pour la communauté chiite, même si cela relève du passé, c'est-à-dire de plusieurs décennies. Celle-ci a été marginalisée, et ses dirigeants pourchassés quand ils venaient à revendiquer des droits, elle entend aujourd'hui exercer pleinement le pouvoir. Elle en a les moyens puisque ses électeurs ont participé massivement aux élections de janvier dernier. Quant aux Kurdes, ils sont, eux aussi, animés du même désir, mais leur ambition souvent brimée, d'obtenir plus qu'une simple autonomie dans le cadre d'une fédération, dont la proclamation n'est pas évidente, suscite bien plus que des réserves.