Le rapprochement, qualifié d'historique entre Alger et Paris, est en passe de perdre beaucoup de son attrait pour ne se limiter qu'à une simple coopération d'ordre économique. La fameuse dimension «historique» que les deux chefs d'Etat algérien et français voulaient donner à «l'amitié algéro-française» n'a pas pu se concrétiser du fait de «l'immaturité» de la classe politique de l'Hexagone quant à voir le passé colonial de ce pays en face. Les prémices de ce que devrait comporter le Traité d'amitié algéro-français, souhaité autant par Alger que par Paris, ne sont pas encore de mise. Même si le point de non-retour dans la consolidation des relations multiformes a été dépassé, il demeure, néanmoins, comparable à ce que l'Algérie entretient avec d'autres nations développées. En d'autres termes, les rapports entre les deux nations n'ont encore rien d'exceptionnels, en tout cas, pas comme le souhaiteraient les officiels français qui affichent une grande détermination à faire des relations algéro-françaises un exemple pour l'histoire. Mais il faut dire que cette volonté n'a pas été assez forte. Et pour cause, craignant l'inévitable «intrusion» dans le débat des questions de la torture et du génocide perpétrés par la France coloniale en Algérie, des députés de diverses couleurs politiques ont élevé une barricade, en adoptant la désormais célèbre loi du 23 février. Ce texte qui glorifie le colonialisme était surtout destiné à faire l'impasse sur la question de la responsabilité de l'Etat français dans les millions de morts algériens. Mais force est de constater que c'est plutôt le contraire qui s'est produit. Les crimes de l'armée coloniale ont été mis sur la place publique. Invités à s'en expliquer, les officiels français n'ont trouvé d'autres stratégie que de s'en prendre à la loi du 23 février, et afficher leur volonté de l'amender dans le sens où elle n'a désormais plus ni odeur ni saveur. La promesse du président Chirac d'aller au fond des choses n'aura pas été tenue. La seule chose que le chef de l'Etat français a tenté de faire, en décidant, à contre-courant de sa majorité, de supprimer l'article 4 de ladite loi, c'est de fermer la «boîte de Pandore» que ces amis politiques ont ouverte. Mais le coup est parti et Chirac le sait pertinemment. La France ne peut plus évoquer les droits de l'homme, sans voir sa mauvaise conscience la poursuivre. Le recul de Paris, de même que la déclaration de l'ambassadeur français à Alger sur «l'erreur inexcusable» des massacres du 8 Mai 1945, ne peuvent régler le problème de mémoire auquel est assujettie la société française. Et pour cause, celle-ci, traversée par plusieurs lobbies, est empêchée de voir son histoire en face. Autant la vérité sur les crimes coloniaux est éclatante, les témoignages ne manquant pas, autant des cercles influents activant dans les coulisses du pouvoir imposent une version tronquée de l'histoire de la France. Il est clair que ces lobbies travaillent dans le sens de faire échec à toute tentative de rapprochement entre l'Algérie et la France, en instrumentalisant l'histoire. Et quand Jacques Chirac demande, au nom de la République française, à la Turquie de reconnaître le génocide arménien, il ne fait, en fait, que secouer la boîte de Pandore...