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Bachir Znagui. membre du bureau national du Syndicat de la presse marocaine
« Les médias sont étouffés par l'informel »
Publié dans El Watan le 04 - 05 - 2005

Membre actif du Syndicat national de la presse marocaine (SNPM), fondé en 1963, Bachir Znagui connaît sur le bout des doigts la réalité de la presse de son pays. Dans un entretien accordé à El Watan, il en évoque sans détoursles insuffisances. Bachir Znagui a été responsable de la rédaction du quotidien marocain Libération durant 15 ans.
Vue de l'extérieur, la presse marocaine donne l'impression de connaître un boom. Pourriez-vous nous en faire un état des lieux ?
Nous connaissons en ce moment une période de flux. Nous assistons effectivement à une multiplication rapide des titres et des publications de tout genre. En même temps, nous avons relativement plus d'espaces d'expression que par le passé. Mais, d'un autre côté, cette situation ne dispose pas d'un véritable cadre juridique qui pourrait la supporter et la prémunir contre les mouvements de réversibilité. Le Code de la presse et un certain nombre de dispositions dans les différentes lois marocaines demeurent assez en retard par rapport à cette expérience qui est, sur le plan de la pratique, relativement avancée chez nous notamment dans le cas de la presse écrite.
Qu'en est-il du secteur de l'audiovisuel marocain ?
Au niveau du secteur de l'audiovisuel, je pense que nous accusons toujours un retard, malgré l'existence d'une loi qui démonopolise ce secteur et l'installation du Haut Conseil de l'audiovisuel. Mais par-delà, nous espérons que l'Etat œuvrera aussi à jeter les bases d'un véritable service public. Nous pensons que le Maroc ne peut avancer dans sa démocratisation qu'en étant accompagné d'un service public de qualité destiné aux citoyens.
Revenons, si vous le permettez, à la presse écrite. Est-il vrai qu'il est relativement facile de créer un journal au Maroc ?
Il n'y a pas beaucoup de démarches à faire pour créer un journal. Mais le problème pour nous, en tant que syndicat, réside dans le fait que beaucoup ne respectent pas leur cahier des charges et leurs engagements. Un aspect sur lequel l'Etat ne veille malheureusement pas assez.
Pourriez-vous nous donner un exemple précis d'engagements non respectés ?
Au Maroc, les lois obligent les éditeurs à publier les bilans financiers de leurs entreprises. Hormis quelques rares exceptions, personne ne respecte cette règle.
Parlons des journalistes. Sont-ils satisfaits de leur condition ?
Vous posez un grand problème. La formation reçue par les journalistes n'est pas tout à fait valable. C'est le cas y compris de celle prodiguée dans les institutions les plus habilitées à le faire. L'enseignement des instituts privés, qui se prétendent spécialisés dans la formation de journalistes, ne vaut guère mieux. Ces centres, très répandus, servent souvent à soutirer de l'argent à leurs élèves avec la promesse de devenir journalistes. Ils leur délivrent des diplômes que l'Etat ne contrôle visiblement pas. Cette situation pose problème dans la mesure où elle déteint sur la qualité des produits. Cela d'autant que les journaux privés ne donnent pas la possibilité à leurs journalistes de se former. En général, les médias privés sont allergiques à l'idée d'assurer une formation continue à leurs personnels. Les patrons préfèrent faire travailler les journalistes à plein régime. Actuellement, seuls les journalistes du secteur public bénéficient de cycles de formation.
Sur quelles bases se fait l'accès au métier de journaliste ?
L'accès au métier pose aussi problème. Les gens qui rejoignent les rédactions ne sont pas tous des journalistes. Leur recrutement se fait, parfois, selon des critères clientélistes. Il y a beaucoup d'injustice. Il y a une agression du métier par des gens qui lui sont étrangers. En matière de recrutement, les éditeurs ne sont également pas très boulimiques. Les rédactions fonctionnent avec des personnels réduits. Et plutôt que de recruter, les patrons de presse préfèrent faire appel à des collaborateurs extérieurs pour diminuer leurs charges. Les médias se caractérisent, en outre, par un usage excessif des stagiaires. Souvent, ces derniers sont exploités à fond pendant des années avant leur titularisation. Certains ne le sont jamais.
A quoi est due, selon vous, cette situation ?
Cette situation intenable résulte du fait que les entreprises privées de presse ne proposent pas à leurs journalistes un plan de carrière.
Est-ce à dire que les journalistes marocains ne sont pas liés avec leurs journaux par une convention collective ?
Tout à fait. Nous avons lutté, depuis 1992, autour de cette question de la convention collective et nous butons toujours sur les mêmes problèmes. Beaucoup de patrons se refusent encore à accepter d'accorder un minimum de droits sociaux aux journalistes. Ces droits sont pourtant consignés dans les lois en vigueur. Nous sommes dans un secteur où l'informel est plus présent que le formel même si les publications ont un statut légal. Mais l'espoir est permis.
Alors, à quand le bout du tunnel pour les journalistes marocains ?
Je pense que pour ce qui est du cas marocain, nous nous rapprochons de la fin du calvaire enduré par les journalistes. Les pouvoirs publics affichent, ces derniers temps, une attitude positive et se montrent sensibles aux problèmes des journalistes. Pour preuve, ils conditionnent leur aide aux médias par la prise en charge par ces derniers des revendications sociales de leurs rédactions. Les patrons de presse continuent encore à poser quelques petites difficultés. Mais nous serons probablement en mesure de signer vers la fin du mois prochain (la fin mai. L'entretien a été réalisé en avril, ndlr) cette convention si recherchée depuis des années.
Puisque vous évoquez la question de l'aide à la presse, pensez-vous que le contrat-programme signé par le gouvernement marocain et les éditeurs, doté d'une enveloppe de 5 millions de dollars, permettra concrètement aux journalistes et aux journaux d'atteindre les standards en usage dans les pays recélant une expérience médiatique avancée ?
Le syndicat des journalistes marocains a participé, en qualité d'observateur et de partenaire, aux discussions ayant précédé la signature de ce contrat-programme. C'est grâce à notre détermination que le texte en question comporte des clauses qui conditionnent l'octroi de cette subvention publique par la mise en œuvre d'une convention collective. A ce propos, il est clairement stipulé que le fonds destiné aux éditeurs ne sera pas débloqué tant qu'il n'y aura pas d'avancée concernant ce volet. Par ailleurs, le contrat-programme est intéressant dans la mesure où il introduit le concept d'entreprise dans les sociétés de presse et oblige les éditeurs à rompre avec la gestion artisanale. Car jusqu'à maintenant, quand les choses vont bien, l'argent ne profite pas aux entreprises. Les ressources vont souvent dans les poches des patrons.
Vous semblez optimiste quant à l'avenir de la presse au Maroc. Mais qui vous dit que la condamnation de Ali Lmrabet ne renseigne pas sur l'existence d'une velléité de remise en cause de la liberté de la presse au Maroc ?
La liberté de la presse est irréversible au Maroc. Mais si c'est vraiment le cas, alors chacun devra alors assumer ses responsabilités. Les journalistes doivent faire leur maximum pour étendre le champ des libertés. Et si l'Etat veut rejoindre le futur de ce pays, il doit s'engager d'une manière sincère et honnête dans un processus de démocratisation et en assumer toutes les conséquences. Je comprends qu'il ait encore dans notre pays des résistances. Certaines sont le fait de forces réelles. D'autres résultent peut-être parfois des retards de mentalité. Mais dans tous les cas, il faut avancer et nous allons avancer. A mon sens, le cas Lmrabet ne changera pas grand-chose. Mais je tiens à dire que ce qui lui est arrivé est inique et inadmissible. Sa condamnation s'est faite dans le cadre du Code pénal. Normalement, les journalistes ne devraient pas faire l'objet d'autres dispositions que celles prévues par le Code de la presse.
Vous voulez parler de la dépénalisation du délit de presse ?
C'est cela. Nous avons effectivement des dispositions dans d'autres textes (Code pénal, ndlr) qui ne relèvent pas du Code de la presse, mais qui concernent les journalistes. Nous demandons leur abrogation et l'unification de la législation se rapportant à la presse. Que les choses soient bien claires : nous ne réclamons pas de privilèges particuliers. Nous sommes des gens responsables et nous avons à rendre compte de nos comportements. Mais la législation régissant la presse doit être conforme à celle en usage dans les pays démocratiques. Aujourd'hui, nous demandons une évolution sérieuse dans ce domaine. Cela passe par une révision du Code de la presse qui n'apporte pas des restrictions mais qui doit garantir véritablement la liberté de la presse.
Un message à transmettre aux journalistes algériens ?
Je suis fier de la résistance que les journalistes algériens ont menée sur le terrain dans l'exercice de leur profession, d'autant que cela s'est fait dans des conditions quasi impossibles et qu'ils ont été confrontés au terrorisme. Il faut prendre exemple sur leur courage. Je crois que tout est engagé aujourd'hui pour qu'ils engrangent plus d'acquis. Cela est possible grâce à cette résistance et aux lourds sacrifices consentis, car nous ne pouvons oublier ceux qui ont perdu la vie dans cette bataille.


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