Le parquet d'Alger a réuni hier procureurs, officiers de la police des trois corps de sécurité, à savoir la Sûreté nationale, la Gendarmerie nationale et la Sécurité militaire, et médecins légistes. Cette rencontre a permis de débattre des nouvelles dispositions des lois relatives au blanchiment d'argent et au trafic de drogue, mais elle a aussi mis en relief le large fossé qui existe entre les procureurs et la police judiciaire (PJ), notamment à travers un manque de coordination et parfois une absence de confiance. C'est en tout cas ce qui ressort des débats ayant sanctionné les interventions des magistrats de la cour d'Alger et consacrés aux nouveaux textes adoptés récemment pour renforcer la lutte contre la criminalité organisée et ceux qui renforcent les droits des prévenus. Ainsi, un procureur adjoint a longuement parlé des conditions nécessaires dans lesquelles tout prévenu doit être tenu en garde à vue. « Il doit avoir la possibilité de contacter par téléphone sa famille ou à défaut son avocat. Une visite médicale est obligatoire après l'enquête préliminaire. Le prévenu a le droit de choisir son médecin et aucun officier de police ne peut lui refuser ce droit. Le mauvais traitement et la torture sont pénalisés et tout acte considéré comme tel sera puni d'une lourde peine de prison. Le procureur de la République peut à son tour à tout moment ouvrir une enquête sur des cas de torture. Lorsqu'un médecin d'un établissement pénitentiaire découvre qu'un des détenus porte des traces de torture ou de maltraitance, il n'a pas le droit d'établir un certificat et de mentionner : rien à signaler. Il ne faut pas être tolérant devant de tels actes. » Le docteur Bessaha, médecin légiste de l'hôpital Mustapha, a, quant à lui, mis l'accent sur le rôle et l'importance de sa spécialité dans les enquêtes, notamment les homicides. Il a annoncé l'ouverture de trois unités de permanence de médecins légistes pour procéder à des autopsies au niveau d'Alger durant les jours fériés et les week-ends, tout en notant la marginalisation de cette spécialité. Après avoir annoncé l'organisation prochaine d'un séminaire national consacré à la médecine légale, le docteur Bessaha a proposé aux magistrats de « faire examiner le mis en cause par un médecin avant même la garde à vue dans le but de déterminer s'il ne présente pas de maladie et éviter ainsi des surprises, comme par exemple le suicide, l'arrêt cardiaque ou tout autre malaise lié à sa maladie ». Il a également insisté sur « la nullité de l'obligation d'une autopsie sur un détenu gravement malade et dont l'origine du décès est déjà connue par ses médecins traitants ». Des propos qui ont fait réagir un procureur. « L'autopsie reste obligatoire quel que soit l'état de santé du détenu. Les familles doutent toujours lorsque leur proche meurt dans un établissement pénitentiaire. Et pour les rassurer, l'autopsie est nécessaire. Pour ce qui est du certificat dès la garde à vue, dans ce cas-là, il faudra un certificat lorsqu'il passe devant le procureur, un autre lorsqu'il est entendu par le juge et un autre lorsqu'il est admis dans une prison. La loi est très claire là-dessus. Le certificat de bonne santé est délivré une fois l'enquête préliminaire terminée. » Le docteur Laïdli, médecin légiste, a abondé dans le même sens que son confrère en affirmant que le certificat de santé au début de l'enquête est « la meilleure garantie de bon traitement » pour un prévenu. Pour ce qui est du refus du médecin légiste de remettre aux officiers de la police judiciaire les rapports d'autopsie, le docteur Bessaha a rappelé que « cet acte est demandé par le procureur, mais qu'il sera ravi de voir la PJ assister à des autopsies et d'échanger des informations si cela va dans l'intérêt de l'enquête ». Les droits de ce derniers restent très flous dans les lois, a indiqué un commissaire du service de la répression du banditisme. « Supposant que nous sommes sur une importante enquête de drogue et que nous savons que tout contact avec la famille va neutraliser nos efforts. Que faut-il faire ? », a-t-il demandé aux magistrats. Le code de procédure pénale est très clair sur cette question, « mais souvent ce droit d'informer est laissé à l'appréciation de l'officier qui mène l'enquête. S'il juge que l'enquête peut être mise en péril par ce coup de téléphone, il attend ». « Erreur » Le directeur du bureau d'Interpol à Alger s'est enquis sur les prérogatives de la cellule du renseignement et du traitement financier, instituée il y a une année et qui a le pouvoir de procéder à des saisies d'importants fonds. « Si demain il y a une erreur, qui assumera les préjudices causés par cette saisie ? » Pour le procureur général adjoint, la cellule reçoit les informations de la commission bancaire, où siègent deux magistrats. Après les soixante-douze heures qui suivent la décision de saisie, il n'y a pas de décision du président du tribunal, l'opération est annulée. Des officiers de la police judiciaire ont, pour leur part, parlé des problèmes rencontrés sur le terrain, notamment l'absence de procureur pour signer la levée d'un corps. D'autres ont insisté sur les efforts considérables consentis par les pouvoirs publics pour doter le laboratoire scientifique d'équipements modernes pour identifier les corps, comme le test ADN qui leur a permis de résoudre de nombreux problèmes de filiation et d'identification. De leur côté, les procureurs ont soulevé les problèmes qui entachent leur relation avec la PJ. « Souvent, la PJ nous ramène un prévenu à 10 heures alors qu'il a été arrêté la veille, à 3 heures du matin. La présentation se fait sans les témoins, alors que le dossier est basé sur son témoignage. Lorsque nous demandons pourquoi, la réponse est : nous ne pouvons pas les obliger à répondre aux convocations. Il est aussi remarqué que la police judiciaire veut que l'enquête du procureur ou du juge soit basée uniquement sur son procès-verbal... » Une déclaration qui a fait réagir un procureur général adjoint : « Le procureur est le directeur de la police judiciaire. Celle-ci est sous ses ordres et ses rapports ne sont pris en compte qu'à titre indicatif. La relation entre les deux est édictée par une loi. » Clôturant la journée, le procureur général de la cour d'Alger, M. Berradja, a noté « certaines anomalies » dans le fonctionnement de la PJ, notamment à travers la non-transmission du procès-verbal préliminaire aux procureurs et le dépassement de la garde à vue.