Plus que Abdelaziz Bouteflika et ses zones d'ombre, ses mystères des origines et ses alliances paranormales, il est un homme qui résume bien ce que l'Algérie a connu depuis son indépendance. C'est Ben B., plus connu sous son nom d'Ahmed Ben Bella, pro-égyptien puis socialiste, autocrate panarabe et liberticide, il est destitué et arrêté durant des décennies. Il devient démocrate puis islamiste puis démocrate, tout en étant rayé de l'histoire officielle. Aujourd'hui, il revient par la grande porte. Il reçoit tous les honneurs, on l'invite partout, on efface pour lui le 19 juin, on le nomme président d'honneur de la commission d'amnistie et pour finir docteur Honoris Causa. Signe des temps, il est présenté aujourd'hui comme la sagesse incarnée, comme l'homme qui a prôné la solution politique au début du conflit dans les années 1990. D'ailleurs à ce titre, il est positivement décrit comme l'un des signataires de l'accord de Sant' Egidio, alors qu'il y a quelques mois encore, avoir fait partie de cette réunion des diables revenait à être un traître à la nation, un bouchkara sans chkara allié au sionisme, aux pieds-noirs et aux harkis. Ces revirements fatigants, qui impliquent autant la presse que la classe politique, n'augurent rien de bon, tant il est connu que ceux qui n'ont pas d'avis sont capables de prendre n'importe lequel. Hier, Bouteflika était encore un dictateur mais voilà qu'il est homme de progrès. Plus personne dans la classe politique et médiatique n'ose contester le principe de réconciliation, alors que le seul fait d'en parler avant Bouteflika était synonyme de crime suprême contre le pays et la traduction devant les tribunaux médiatiques pour révisionnisme. D'où vient donc cette facilité à défendre ce que l'on reniait hier et à hurler pour applaudir le lendemain ? Comme Ben B., on peut être tout et son contraire. Le poison et l'antidote.