Installée le 4 novembre 2004, la Cellule du traitement du renseignement financier (CTRF) est sur le point de terminer l'enquête préliminaire sur des opérations de blanchiment d'argent. Dans cet entretien, Abdelkrim Djaâdi, magistrat, membre de cette cellule, a indiqué que ces dossiers seront remis à la justice dans un proche avenir. Quelle est la mission exacte de votre organisme ? La CTRF est un établissement public doté d'une personnalité morale et d'une autonomie financière. Sa première mission est de recevoir des déclarations de soupçon relatives à toute opération de financement du terrorisme ou de blanchiment d'argent, de les traiter par tous les moyens appropriés, de transmettre le dossier correspondant au procureur de la République territorialement compétent à chaque fois que les faits constatés sont susceptibles de poursuites pénales. Elle a aussi pour mission de proposer des textes réglementaires ayant pour objet la lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment d'argent, de mettre en place les procédures nécessaires à la prévention de ce fléau et de requérir des organismes et personnes désignés par la loi tout document ou information nécessaires pour accomplir les missions qui lui sont dévolues. Elle peut également, dans le cadre de la coopération internationale, échanger des informations en sa possession avec des organismes étrangers investis de missions similaires, sous réserve de réciprocité. A ce sujet, il faut reconnaître qu'il existe une très bonne coopération avec nos partenaires européens et arabes. Cela voudrait dire que des pays étrangers vous transmettent des renseignements sur des mouvements de capitaux douteux de et vers l'Algérie... Nous recevons ce genre de renseignements. Il y a une volonté de lutter contre ce fléau chez nos partenaires étrangers qui ont déjà leur système antiblanchiment en place. Grâce à l'informatisation du secteur financier, il est plus facile de détecter les opérations douteuses. Nos partenaires nous aident à nous doter de ce genre d'instruments, mais également à nous alerter sur des mouvements suspects ou des opérations douteuses. A travers votre travail depuis déjà plusieurs mois, quel constat faites-vous de vos premières investigations ? L'évaluation de l'importance du phénomène du blanchiment d'argent et du financement du terrorisme est précoce, surtout que l'infraction du blanchiment d'argent n'existe dans la législation que depuis le mois de novembre 2004. Il est vrai que le code pénal a prévu des dispositions répressives contre le financement du terrorisme, mais pour ce qui est de notre mission au sein de la CTRF, il est encore tôt pour en faire le bilan. Il est question de sensibiliser nos partenaires dans le secteur financier et leur expliquer comment établir une déclaration de constat, quels sont les moyens de sa transmission mais aussi les garanties de la sécurité des informations transmises. Recevez-vous régulièrement ces données ? Je ne peux pas vous dire que nous sommes inondés de ces renseignements. Mais il est important de relever que cette étape est celle de l'apprentissage. Nous et tous nos partenaires, banques, assurances, impôts et douanes, sommes en train de nous imprégner des méthodes de détection du blanchiment d'argent grâce à des experts étrangers. Nous nous concertons pour trouver la meilleure déclaration de suspicion, mettre en place un système de vérification de l'information et sa sécurisation. A quel moment pouvons-nous affirmer que nous sommes devant une opération de blanchiment d'argent ou de financement du terrorisme ? Dès lors qu'une opération financière est complexe mais aussi non justifiée. Cela se fait dans la discrétion la plus totale et dans le respect des libertés individuelles de la personne. Le renseignement nous parvient soit par le biais des banques, des assurances, des impôts, des douanes, des notaires, des adjudicateurs, des commissaires aux comptes..., et nous sommes tenus de vérifier en ouvrant une enquête préliminaire. Croyez-moi, nous avons eu beaucoup de surprises en ouvrant certains dossiers. Mais les banques peuvent évoquer le respect du secret bancaire pour justifier leur refus de coopérer... En matière de renseignement financier, le secret bancaire ne peut être évoqué. Le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme sont deux fléaux devant lesquels toutes les barrières tombent. En Algérie comme dans de nombreux pays européens, le secret bancaire est levé dès lors qu'il s'agit d'opérations douteuses soupçonnées de liens avec le blanchiment d'argent ou le financement du terrorisme. Qu'en est-il de la coopération avec les banques privées et étrangères ? Il n'y a aucune distinction à faire entre les institutions financières, qu'elles soient privées, publiques ou à capitaux étrangers. Il est important de préciser que pour les banques étrangères, le problème ne se pose pas, parce que les banques mères sont dotées de ce fameux système de détection des opérations de blanchiment et de financement du terrorisme. Néanmoins, pour ce qui est des banques algériennes, des notaires, des déclarants en douane, des adjudicateurs, des assureurs, nous voulons tout d'abord leur apprendre comment établir les procédures adéquates de détection des opérations douteuses, comment transmettre les renseignements qu'ils jugent importants en toute sécurité et dans la discrétion la plus totale. Nous sommes toujours dans cette étape, même si certains renseignements transmis à la cellule nous ont déjà permis de constituer des dossiers, presque prêts à être remis à la justice. Peut-on connaître les premiers résultats ? Je ne peux pas vous en dire plus, parce que nous n'avons pas achevé l'enquête préliminaire. Les experts s'accordent à affirmer qu'en Algérie une grande masse monétaire circule en dehors du système banquier et c'est dans ce marché où existent le plus les opérations douteuses. Comment allez-vous faire pour les détecter ? Il est vrai que nous sommes en plein dans une économie du cash, ce qui explique l'importance des masses monétaires en dehors du circuit bancaire. Néanmoins, cette phase est appelée à disparaître avec ce que j'appelle la bancarisation, c'est-à-dire la modernisation et l'informatisation du système bancaire. Cette modernisation des établissements financiers permettra de garantir une meilleure sécurité aux opérateurs honnêtes qui aimeraient payer avec des chèques, des cartes de crédit ou bancaires, et non cash. Trouvez-vous normal que certaines sociétés refusent les chèques ? C'est uniquement pour cette raison que certains opérateurs préfèrent le circuit informel à celui des banques. Certains observateurs estiment que la saisie des opérations financières douteuses incombe en premier lieu à la justice et non à la CTRF. Quel est votre avis ? L'article 17 de la loi relative à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme a prévu la saisie conservatoire des opérations financières douteuses pour une durée de 72 heures, le temps de terminer l'enquête. Au- delà, la CTRF peut demander, sur requête adressée au président du tribunal de Sidi M'hamed ou au procureur, de prolonger le délai, toujours si l'enquête l'exige. Il ne s'agit pas de bloquer des comptes, mais plutôt d'opérations financières sur lesquelles pèsent des soupçons de blanchiment et de financement du terrorisme. Il est important de préciser que la loi sur la lutte contre la corruption actuellement en préparation prévoit des dispositions répressives contre l'enrichissement illicite. Ce texte nous permet de demander aux personnes de justifier les fortunes qu'elles ont et que nous suspectons d'être mal acquises. Nos relations privilégiées avec nos partenaires étrangers nous permettent d'ouvrir des enquêtes sur les fortunes, même si elles sont en dehors du pays. Il y a une relation étroite entre la corruption et le blanchiment d'argent et, dans la majorité des cas, c'est grâce à la corruption que les milieux mafieux blanchissent leur argent. C'est pour cela que l'adoption de cette loi de lutte contre la corruption va nous aider énormément dans nos investigations, car nous serons en mesure d'exiger des réponses à la fameuse question : « D'où as-tu eu cela. » Mais avant, il faut améliorer notre système légal antiblanchiment au niveau des établissements financiers.