Sans pépins ne s'écoute pas, puisque la pièce théâtrale, conçue par Medjahri Missoum de la compagnie indépendante Ibn Sina, se laisse voir d'abord. Le metteur en scène place son spectacle en dehors d'un texte écrit et préalablement appris pour dire que l'on peut trouver l'efficacité sans les béquilles du texte. La générale de ce spectacle sans parole, présentée au théâtre régional Abdelkader Alloula (Oran), est en effet totalement acquise au visuel. C'est le regard qui guide et autorise la lecture d'une représentation où l'histoire se joue avant de s'exprimer par des images que chaque spectateur peut ordonner dans sa tête à sa guise au fur et à mesure de la progression de cette pièce qui dure une heure environ. La scène (nue) met aux prises six comédiens qui miment des situations extirpées du réel et surtout des explications que l'on se fait du réel. Dans nos représentations mentales et nos approches ludiques. Six comédiens qui accordent la priorité au burlesque pour exprimer le théâtre autrement que par un dialogue inscrit dans des actes et des scènes dans les versions traditionnelles. Les mouvements d'ensemble ne sont pas toujours cohérents, mais la verve « gestuelle » est là généreusement offerte au public, sans retenue aucune, avec frénésie presque. Le concepteur fait effectivement appel dans sa direction d'acteurs à des coffres de volumes inégaux et à des tabourets d'inégale hauteur pour symboliser les fossés sociaux, mais il ne se fait pas aider du véhicule de la langue, si ce n'est quelques termes passe-partout noyés dans le gag, le tic, le geste farfelu et l'ellipse. Avant toute chose, l'exercice scénographique était de faire parler des grimaces et des postures corporelles dépeintes jusqu'à la caricature. Les personnages « disent » des situations des puissants et des faibles de ce monde d'abord par l'expression corporelle et les mimiques qui vont avec. Tout est suggéré, tout est permis, rien n'est dit. C'est téméraire et ambivalent en même temps, mais chez les comédiens de la troupe, on ne semble pas trop s'attarder sur les lectures supposées « avisées » des fines bouches et autres âmes perfectionnistes. Ce qui compte, c'est l'adhésion avec le public, et le public de la superbe salle lambrissée du TRO à adhérer. La référence (ou influence) aux rythmes, aux gesticulations, aux héros du cinéma muet et à ses bruitages est constante, et nous nous prenons à lire le spectacle Sans pépins par l'accumulation photographique qui a façonné notre être en cette ère de la photo animée. C'est cette singularité mettant en cause la réalité établie... au théâtre et principalement au théâtre algérien qui est intéressante à souligner, car elle crée en chaque spectateur une gêne à peine avouée. Ce dernier ne sait pas quoi dire sur ce qu'il a vu et - non entendu- parce que ses grilles de lecture sont entraînées à un autre schéma mental. Un autre théâtre, une autre esthétique. Et c'est toute la difficulté de se situer et partant situer Sans pépins par rapport à soi. Osons cependant une critique sur l'interprétation des acteurs et disons-le de suite : les comédiens (qui ont de la graine, aucun doute là-dessus) doivent mieux appréhender leur rôle et ne pas se suffire des « tics » prêts à l'emploi trop faciles à trouver. Les personnages auxquels ils insufflent une âme ne peuvent se suffire d'écorce théâtrale. L'épaisseur dramatique, puisqu'elle n'existe pas dans le texte, doit impérativement apparaître dans le jeu et l'interaction avec le spectateur. Les ingrédients existent, pour peu que le métier ne pas soit relégué au second plan. Le métier sans cependant les fioritures telles que cette première scène de séduction-danse qui, à franchement parler, n'est pas d'une grande consistance par rapport au reste du spectacle. Il faut serrer les vis. Néanmoins, Sans pépins est une pièce théâtrale à voir et à encourager pour les pistes qu'elle ouvre dans la quête d'un autre théâtre et d'une autre sensibilité. ça ne peut être que salutaire pour un théâtre que des gens malintentionnés ont précipitamment enterré sans avoir vu au préalable sa générale. En tout cas, Sans pépins leur prouve le contraire.