Jeudi 27 mai. 8 heures. Le car-ferry Ciudad de la Canarias accoste fébrilement sur les quais d'Almeria. Une ville moyenne qui a pris de l'ampleur depuis l'inauguration des lignes maritimes avec l'Algérie (Ghazaouet) et le Maroc. Ahmed s'engage sur l'autoroute A7, non-payante jusqu'à Alicante. Khalti Zohra de Sarlat en France, les yeux rougis, enlève son fichu vert et s'allonge sur le siège arrière. Les villes défilent comme des auto-stoppeuses souriantes : Benidorm, Murcie, Valence et Tarragone. La radiocassette déverse une reggada (raï marocain) du chanteur Berkani. « Tape des mains pour qu'Ahmed ne s'endorme pas ! », conseille khalti Zohra. Il ne manquait plus que ça. Vamos a la playa 18 heures. Barcelone émerge progressivement tel un mirage. Les indications en idiome catalan sont nombreuses et impressionnantes. Dernier péage : Ahmed se trompe de porte. On est bloqué. La barrière refuse de se lever. Une file de voitures nous met la pression derrière. Fichtre ! « Debe tener una tarjeta, senor ! » (vous devez avoir une carte) entonne, quelque peu embarrassé, un agent. Après plusieurs tractations, on paye en espèces, grâce il faut le préciser sans fausse modestie à quelques bribes en langue de Cervantès que j'ai pu amasser quand j'étais au lycée. Pour éviter de nous embourber dans cette toile d'araignée qu'est l'entrée de Barcelone, on prend la première sortie. Est-ce par nationalisme ou par ignorance, toujours est-il que les Espagnols ne s'expriment qu'en leur langue. Qu'à cela ne tienne... On s'aventure dans la plaça Catalunya, une avenue spacieuse et bruyante qui descend droit vers la mer. Lolita, tortilla Difficile de repérer un compatriote. Nous sentant égarés, une passante (on dirait directement sortie d'une corrida, soit dit en passant) nous conseille de visiter Las Ramblas (rivière en arabe) et la fontaine de Canaletas. A propos de cette dernière, l'on raconte que si vous buvez de son eau, vous reviendrez à Barcelone. Encore faudrait-il qu'on s'en sorte. Khalti Zohra, que Dieu lui pardonne, traîne la patte derrière. Ahmed reluque les lolitas en enroulant sa moustache mal taillée. Dans une situation ubuesque, on se met à apostropher des gens, sélectivement des jeunes femmes, en ces termes « las ramblas, las ramblas... » En guise d'une madonne, c'est Juan (que Dieu maudisse ma chance ou khalti Zohra, la guigne) qui nous servira de guide. En fait, ce mot majestueux qu'est las ramblas, est l'un des boulevards les plus connus du monde, un boulevard de 2 km qui s'étend de la plaça Catalunya jusqu'au port de Barcelone. Une autre providence intervient : Hamza, un Algérien de Blida, surgit « Salam, salam... » On « enfourche » le barrio gotico, un des vieux quartiers gotiques (vous l'aurez compris) fait de ruines et d'anciennes fortifications romaines, les plus populaires de Barcelone. Un véritable dédale de rues étroites et tortueuses, de petites places (plaza Del Rei, la plaza San Jaume, la fameuse cathédrale gothique...) des cafés, des bars. Hamza, qui remarquait que j'aurais donné ma maigre fortune pour m'attabler sur une terrasse de snack, nous invite à prendre un verre. Hamdoulillah, gracias... « dis-je joyeux, presque les larmes aux yeux ». C'est que les « femmes » de Salvador Dali sont « achalandées » sur des chaises de qualité. Bacchus n'aurait pas pu placer un mot en face de moi. Silvia, dont on dirait sortie droit d'un tableau de Picasso, me demande un cigarillo. Avec une grâce indicible, je lui remet tout le paquet de Marlboro, avec à l'esprit, l'idée de lui offrir toute notre chère entreprise nationale de tabac. Espana la mejor « Soubhan Allah ! Dieu a créé la femme pour mettre en valeur sa beauté. » Ma poésie a fait l'effet d'une bombe aux yeux de Silvia. Khalti Zohra veille au grain et subitement, elle marmonne : « N'oublie pas tes enfants ! » Ouallah !! et je jure par trois fois, que s'il n' y avait pas la Guardia dans les parages, je lui aurais sauté au coup. Z'bel de Zohra... (Pardonnez mon émotion !) On continue notre balade à la Ciutat Vella à l'est de Barcelone là où se trouve le palis de la musique catalane. Une architecture éblouissante. Enfin, pas plus éblouissante que Silvia. Hamza crut bon de nous rappeler que les Algériens établis en Espagne, tous statuts confondus, seraient 2000) Voilà ce qu'on appelle passer du coq à l'âne, mais bon... Les derniers attentats dramatiques de Madrid ont eu des conséquences très préjudiciables pour les Maghrébins, particulièrement les Marocains, comme l'affirme Hamza. Au restaurant El Asador de Amanda, dans un endroit appelé Tibidabo, je me gave de crustacés tout en essayant d'oublier Silvia... Juan, toujours bavard, nous fait visiter le théâtre de Liceu, un théâtre qui a brûlé deux fois en 1861, puis en 1893 par un certain Santiago Salvador, un anarchiste qui lança deux bombes sur la bâtisse. On s'arrête ensuite à La Ribera de Rabal, des monuments historiques que des artistes de toutes les nationalités attablés sur les terrasses de bars reproduisent sur des toiles. Des sons du flamenco surgissent d'un bar. On retourne cahin-caha sur La Ramblas auquel La Manas, la première actrice donna vie, si l'on se fie à la riche histoire de cette immense place. L'auteur du Vieil homme et la mer n'avait pas tort de la qualifier du plus beau paseo du monde... Ahmed, khalti Zohra, Hamza et Juan... Moi et Silvia dans l'esprit, on s'engouffre à nouveau dans les entrailles de Barcelone, le regard lointain, malgré les lumières fascinantes et le sourire jovial des femmes, comme justement peintes par l'ami Salvador Dali... Barcelone : De notre envoyé spécial