Le Cinéma s'installe sur La Croisette. Mieux que d'autres lieux, ce long boulevard passe en très peu de temps d'une nonchalance provinciale à un tourbillon extraordinaire où se croisent cinéastes, producteurs, acteurs, reporters du monde entier. L'an dernier sur cette même Croisette, c'était la lutte des classes. Les intermittents du spectacle, les employés en grève du palace Le Carlton défilaient, drapeaux rouges en tête, occupant même certains lieux de projection. Femmes de chambre, gouvernantes, serveurs du plus grand palace de la Côte d'Azur volaient la vedette aux stars qu'ils étaient censés servir... Cette année, c'est James Dean qui vole la vedette à tous. Dans une merveilleuse exposition : « James Dean, Fifty Years Ago », le Festival de Cannes rend hommage à l'acteur disparu tragiquement, il y a 50 ans, dans un accident d'auto (photos réunies par l'agence Magnum). En même temps, un long métrage documentaire de Michael Sheridan retrace 5 années de la vie de James Dean, à travers son talentueux travail d'acteur dans 3 grands films et 37 séries de télévision, tandis que le programme Cannes Classics montre East of Eden (à l'Est d'Eden) de Nicholas Ray et Rebel Without A Cause (La Fureur de Vivre), d'Elia Kazan. Le Festival de Cannes reste attaché aux grands classiques. Tandis que sous les tentes du marché du film et dans les suites d'hôtels, de faramineuses transactions commencent à être signées (Hollywood ne s'intéresse qu'aux gros budgets : le dernier film de George Lucas : Star Wars, la Revanche des Sith, qui passe ici hors compétition, a coûté 115 millions de dollars et les gadgets et produits dérivés qui l'accompagnent vont rapporter 1,5 milliard de dollars !), tout en haut du Palais du festival, dans la salle Bunüel, c'est le modèle du vieux cinéma classique qui règne. Au programme Pather Panchali, de Satyajit Ray ; Los Olvidados, de Luis Bunüel ; Le Fleuve, de Jean Renoir ; La Perla, Ensmorada et Salon Mexico, 3 chefs-d'œuvre, du Mexicain Emilio Fernandez, surnommé l'Indio (l'Indien). Mais que comptent ces objets d'art face à l'immense machine de fric qui étale sa puissance aujourd'hui à Cannes ? Jean Luc Godard renoue avec le Festival de Cannes par le biais d'un documentaire long métrage : Moments choisis des histoires du cinéma (produit par la Gaumont). Il s'agit d'un bilan de l'immense travail qu'il a déjà fait sur l'histoire du cinéma, une réflexion philosophique, poétique sur le mystère des images en mouvement. Godard a toujours combiné dans son travail passion, esthétique, contestation, écriture radicale. C'est la raison pour laquelle, il est resté toujours « excentrique » par rapport à la production habituelle. Un contestataire à qui la Gaumont donne de temps en temps les moyens... L'autre contestataire présent sur La Croisette n'est autre qu'Emir Kusturica, président du jury international, deux fois palme d'Or, plus des Ours et des Lions à Berlin et à Venise, mais toujours l'allure d'un hippy avec barbe et cheveux longs. Emir Kusturica a-t-il trahi son pays la Bosnie en s'alliant (politiquement) au moment de la guerre à la Serbie de Milosevic. C'est ce que ses anciens amis lui reprochent. Kusturica plaide non coupable. Il affirme même que sa position est calquée sur celle de Noam Chomsky... Quoi qu'il en soit, le président voit deux ou trois films de la compétition chaque jour, entouré de Toni Morrison, Selma Hayek et quelques autres. Tout en se préparant à monter sur scène pour le concert rock qu'il donnera une nuit face à la Méditerranée.