tat des lieux des films de Cannes : la tragédie à tous les étages. Il n'y a plus d'humour, à part Woody Allen. Noirceur et cruauté. De la grisaille et du sang partout. Un film américain présenté à Un Certain regard : Down in The Valley, de David Jacobson, montre au début des adolescentes très gaies qui s'amusent et qui se fardent les joues, vivant dans la magnifique vallée de San Fernando, entre Los Angeles et San Francisco, avec leur parfum de secrets de jeunesse et leur cœur plein d'espoir. Une vie qui roule sur du velours et qui, soudain, nous chante une autre chanson : la romance se transforme en folie, des pavés qui se couvrent de sang. Dans l'histoire, un jeune homme dangereux et paranoïaque s'introduit dans le cercle familial pour faucher tout espoir. Voilà, le genre de film qu'on voit à Cannes aujourd'hui. Dehors sur La Croisette, le soleil brille. Sur la plage, de superbes créatures poussent à la perfection leur bronzage et sur les écrans, dans le noir, la déprime est totale. Pareil dans un film de Hong Kong : Election, de Johnny To. Impossible de garder les yeux ouverts devant les scènes de violence. C'est cauchemardesque. Le film raconte la vie des gangsters de Hong Kong, les bandits des sociétés secrètes des triades. Tous les deux ans, ils doivent élire un nouveau chef. A force de crimes chacun plus atroce que l'autre, deux candidats veulent le poste. L'affrontement est total et le raffinement des méthodes laisse le spectateur perplexe : à la séance de presse, les journalistes rient sans doute pour ne pas fuir la salle à toutes jambes... Election est pourtant dans la compétition officielle. Les triades font partie, semble-t-il, de la vie de Hong Kong depuis des lustres. Elles ont beaucoup de pouvoir et des ressources illimitées provenant de rackets, de banditisme, de trafic de drogue, de business louche, de corruption à vaste échelle. Johnny le laisse planer dans ce film violent, implacable, une certaine « nostalgie » des temps anciens (les triades existent depuis 300 ans !) où les sociétés secrètes avaient des règles de conduite, un code d'honneur, et semblaient aux yeux des Chinois comme une bonne chose en face de la société pourrie. Aujourd'hui, les triades sont devenues des syndicats du crime sans serment, sans rituel, sans valeur, ni discipline. Au niveau de la mise en scène, le film de Johnny To n'a strictement aucun intérêt, ça manque totalement d'originalité. C'est le degré très en-dessous du travail très beau et très touchant de Wong Kar Wai, lequel est en ce moment en train de faire un remake de La Dame de Shanghaï, avec Nicole Kidman, film malheureusement pas prêt pour Cannes. Loin du discours exalté des Chinois des triades, on peut voir à Cannes dans la très belle section des classiques, l'un des chefs-d'œuvre du grand cinéaste mexicain Emilio Fernandez (l'Indio), La Perla. C'était le temps d'un certain type de films nourris de poésie, de musique, d'images extraordinaires et de personnages à la fois profonds et attachants (les acteurs de La Perla sont Pedro Armendari, Maria Héléna Marquès, Fernando Wagner). Passionnant travail de mise en scène d'Emilio Fernandez qui s'enracine au cœur et dans la mémoire des spectateurs fort nombreux dans la magnifique salle Bunüel située au sommet de Bunker. Entre les films d'angoisse et les films de rêve, notre choix est vite fait.