Une importante partie de la dette de plus de 3,5 milliards USD détenue par la Fédération de Russie sur l'Algérie a été cédée sur le marché international à hauteur de 15 % de sa valeur réelle. Cette information a été quelque peu confirmée le 9 mai lors de la réception offerte par le consul général de Russie à Annaba à l'occasion de la commémoration du 60e anniversaire de la victoire sur le fascisme. Interrogé sur le remboursement de cette dette, le vice-consul a affirmé : « Une partie sera effacée à l'occasion de la visite officielle qu'effectuera notre président Vladimir Poutine en novembre 2005 en Algérie. » Quant à l'autre partie qui aurait été bradée, le diplomate a éludé la question tout autant que celle liée aux pratiques de la mafia russe dans les opérations entamées par l'Algérie pour le remboursement de cette dette. Le diplomate a préféré parler de perspectives qui s'offrent aux deux pays de développer leurs échanges commerciaux. « C'est dans ce cadre que, courant juin 2005, une importante délégation composée de responsables politiques et d'hommes d'affaires russes séjournera en Algérie », a-t-il ajouté. Ces deux informations sont à ajouter à celle survenue à la fin de l'année 2004. En effet, après plusieurs années de fuite, Salim Troudi, l'homme d'affaires algérien et principal mis en cause dans cette affaire et sous le coup d'un mandat d'amener international, s'est rendu aux autorités judiciaires algériennes. Tous ces faits et informations sont confirmés par des documents confidentiels authentifiés parvenus à notre rédaction. Etroitement imbriqués, ils confirment la relance de cette affaire de remboursement de la dette extérieure algérienne en faveur de la Russie. Du côté de la chancellerie russe en Algérie, l'on s'est gardé de toute déclaration sur ce rebondissement. Dans ce qui s'apparente à un scandale politico-financier sont impliqués des proches de l'ancien président Boris Eltsine et des hauts cadres des services de sécurité militaire russes et algériens. En Algérie, de hauts cadres de la direction générale des douanes, du ministère du Commerce et des Finances feront l'objet de sanctions, (mutation, radiation ou mise à la retraite d'office). Ces cadres et beaucoup d'autres devraient être cités par Salim Troudi. Il avait été à l'origine d'exportations de nombreux produits agroalimentaires à destination de la Russie dans le cadre du remboursement de la dette. Plusieurs griefs lui sont reprochés dont l'absence de moralité dans les transactions et l'exagération des montants des commissions versées qu'il a considérées comme étant des charges déductibles des impôts. Ce qu'aurait formellement démenti l'intéressé en clamant son innocence. Pour consolider ses dires, il aurait avancé, au titre d'arguments, des documents attestant de la légalité de toutes les transactions commerciales et bancaires qu'il avait réalisées. Ses déclarations semblent être confortés par le contenu des différents rapports et conclusions d'enquête établis par la direction générale des impôts. Mieux, Salim Troudi serait arrivé à mettre mal à l'aise le magistrat instructeur en avançant des listes de personnalités qui auraient bénéficié de ses largesses pour services rendus à ses sociétés. La connivence de ces derniers cités nommément dans les rapports était confirmée. Dans l'arrêt de renvoi, il a été précisé que des produits algériens étaient prétendument exportés vers la Russie dans le cadre du remboursement de la dette algérienne. En juillet 1996, Salim Troudi aurait, dans le cadre de ses transactions avec des ex-membres du Kremlin et du KGB tous convertis dans le négoce interlope et propriétaires de grandes sociétés d'import-export, encaissé auprès d'une banque algérienne un chèque de 80 millions de dollars(source indigo international du 19 mars 1997), soit près de 4,5 milliards de dinars. Après l'échec de deux importantes opérations d'exportation de produits algériens vers la Russie (10 millions USD pour ENEL et l'équivalent de 900 millions de dinars ONAPSA), les pouvoirs publics optèrent pour une autre démarche. Pour rembourser la même dette, ils décidèrent de fournir à la Russie divers produits agroalimentaires (dattes, olives, vins, textiles, tomates...) d'une valeur ajoutée nationale de 60 %. C'est dans ce cadre qu'avaient été élaborés et signés plusieurs accords commerciaux avec la Fédération de Russie dont celui du 22 décembre 1992. Il avait été ratifié à Alger par le vice- ministre russe chargé des relations économiques et le ministre algérien délégué au Trésor. Trois sociétés C'était suffisant pour aiguiser les appétits et attiser les convoitises. Jouissant de liens étroits avec les milieux proches du Kremlin, des cadres algériens se sont lancés dans le créneau des exportations vers la Russie dans le cadre du remboursement de la dette algérienne. Le procédé de ces nouveaux « hommes d'affaires » était simple. La marchandise algérienne initialement exportée vers la Russie est réexpédiée en Algérie via la Tunisie. Les accords prévoyant des avantages fiscaux entre les pays de l'UMA ont facilité le transit de la marchandise par la Tunisie. Ainsi estampillés en Tunisie, les produits algériens qui devaient atterrir en Russie étaient réintroduits en Algérie. Cette démarche permettait aux exportateurs-importateurs algériens d'éviter de lourdes taxes douanières et de fructifier leur compte bancaire à travers des exportations fictives, de fausses déclarations de vente, fausses factures, sociétés écrans et jeux d'écritures. Très dynamique, Salim Troudi rafla la plus grosse partie des transactions engagées. Ses trois sociétés dont Sarl Sud Agro (Hydra Alger) firent feu de tout bois. Créée le 24 avril 1993, elle active dans l'import-export des produits agroalimentaires, notamment l'exportation des dattes et concentré de tomate. Une correspondance datée du 24 février 1997 du ministère des Finances indique que Salim Troudi aurait versé au titre de commissions dans le cadre des exercices 1993 et 1994 respectivement 25 539 169 DA et 81 592 500 DA. La deuxième, Sarl Palmier d'Or (Hydra Alger), spécialisée dans la production, commercialisation, conditionnement et exportation des dattes et créée le 11 mai 1993, est également citée dans la même correspondance pour avoir effectué des versements exagérés de commissions en devises pour un montant global de 97 173 750 DA au titre de l'exercice 1994. En ce qui concerne la troisième société, Fatex, le propriétaire Salim Troudi la destinait à sa création au commerce de gros des produits textiles et dérivés. Elle a accaparé presque la totalité d'une production de l'Ecotex Béjaïa pour l'exporter vers la Russie. Les trois sociétés semblaient avoir été créées uniquement pour récupérer le maximum de ce qui peut l'être dans le cadre du remboursement de la dette. Plus complexe, mais tout aussi importante, est cette note d'une des directions du ministère des Finances datée du 21 octobre 1996. Elle fait ressortir tout un état émis par la Banque d'Algérie portant sur différentes opérations d'exportation réalisées par ces trois sociétés. Il en est ainsi de la Sarl Palmier d'Or de 1993 à 1995, avec 26 opérations d'exportation pour un montant cumulé de plus de 34 millions de dollars. Sarl Sud Agro, pour la même période avec 19 opérations d'exportation réalisées et plus de 20 millions de dollars encaissés. Sarl Fatex, de 1993 à 1995, une seule opération d'exportation pour un montant de 555 720 dollars. « Sans avoir été à aucun moment l'auteur d'un quelconque préjudice vis-à-vis du Trésor public algérien et même s'il a réalisé des transactions douteuses avec ses clients russes, Salim Troudi a énormément contribué à l'allégement de la dette russe », a indiqué une source proche du ministère du Commerce qui a requis l'anonymat. Cet homme d'affaires n'hésitait pas à verser des pots-de-vin. Il les comptabilisait comme étant des primes de motivation et primes de facilitation déductibles des impôts, a précisé la même source, ajoutant qu'elles étaient versées à ceux parmi les fonctionnaires et autres qui lui assuraient toutes les facilitations dans ses transactions. Bienfaiteur, Salim Troudi n'hésitait pas à ouvrir son compte bancaire pour répondre aux besoins des familles démunies et des malades nécessitant des soins à l'étranger. Tous ces actes étaient soigneusement comptabilisés par Salim Troudi. C'est sur ces pièces comptables que les vérificateurs et enquêteurs mettront la main. Pour légaliser à sa manière les paiements de ces commissions et pots-de-vin, il avait créé dans sa comptabilité un chapitre. Dans ce dernier sont mentionnés de grosses sommes en dinars et en devises, des paquets de cigarettes étrangères et des cadeaux qui vont jusqu'aux luxueuses voitures (Renault Safrane présidentielle toutes options, des lave-vaisselles et autres de grandes marques). Il en a importé une vingtaine, gracieusement offerte à des personnalités algériennes au pouvoir dont la liste a été remise au magistrat instructeur. Sollicité, alors qu'il était totalement libre de ses mouvements, par les enquêteurs, Salim Troudi n'avait pas hésité à mettre à la disposition des enquêteurs et vérificateurs toutes les pièces comptables transportées par deux camions. Au lendemain de sa fuite, alors qu'il faisait l'objet d'un mandat d'arrêt international, il aurait financé la réception organisée à Monaco par la communauté algérienne de France en l'honneur du président de la République Abdelaziz Bouteflika. Ce dernier venait de participer au sommet économique de Davos (Suisse) de 1999. Sa démarche était motivée par sa volonté de rentrer en Algérie pour régler sans trop de risques sur son intégrité physique ses problèmes avec la justice de son pays. Rappelons qu'une lettre anonyme parvenue à la présidence de la République avait suffi pour que, le mois de mai 1996, éclate l'affaire « Salim Troudi et remboursement de la dette russe ». Salim Troudi payait ainsi sa décision de rompre définitivement les liens qu'il entretenait avec des protecteurs haut placés dans le giron du pouvoir algérien de l'époque. Salim Troudi que, jusqu'à 1996, les Russes accueillaient comme une personnalité politique algérienne dans le cadre des cérémonies officielles, est actuellement incarcéré à Serkadji. « S'il avait patienté, il ne serait pas aujourd'hui en prison. Ceux qui avaient juré sa perte ne sont plus au pouvoir. C'est parce qu'il avait confiance en la justice de notre pays, qu'il a décidé de rentrer, alors qu'il a les moyens de vivre à l'aise dans le pays où il avait fui », diront de lui beaucoup de ses proches au lendemain de son arrestation. Agé aujourd'hui de plus de 40 ans, cet enfant de Biskra avait un compte bancaire évalué à près de 100 millions de dollars (Source Indigo du 19 mars 1997).