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Massacre à grande échelle
FORÊTS À MILA
Publié dans El Watan le 24 - 05 - 2005

Le paysage pittoresque qu'offre la luxuriante et verdoyante végétation du massif montagneux de Beni Haroun, en aval de la digue du barrage qui porte le même nom, dénote curieusement la désolation et la consomption saisissante qui affectent tout le bassin versant.
En effet, il est loisible de constater que la paradisiaque région de Beni Haroun (en aval avec la digue) se caractérise par la meilleure couverture végétale de toute la wilaya de Mila. La densité végétale parmi laquelle trônent majestueusememt les splendides figuiers, oliviers, grenadiers et jujubiers, ou encore les câpriers de Sidi Bourbie est la fierté de ces splendides et généreux territoires escarpés, cernés au nord et au nord-ouest par le maquis de « Allala » et le lieudit Lemzalmat qui abrite des vestiges archéologiques romains. Un peu plus à l'est, le spectacle est tout simplement envoûtant. Les célèbres oliveraies de Souk Tenine et les vastes plantations de caroubiers connus pour leur vertu antidiarrhéique ajoutent un zeste de mordant à la truculence de ces havres ensorceleurs, bercés par l'odeur des succulentes brochettes qui vous titillent les narines, dont seuls les gargotiers disséminés aux abords de la RN 27 surplombant Oued El Kébir ont le secret.
SOS, nature en danger
A contrario et aussi étrange que cela puisse paraître, c'est au niveau de la bande montagneuse ceinturant la commune de Grarem Gouga, au nord et vers le nord-est jusqu'au canton de Dar El Ouïni, à la limite frontalière de la wilaya de Constantine, que l'environnement est agressé, mutilé et sauvagement dégradé. Comble des paradoxes, le bassin versant, puisque c'est de lui qu'il s'agit, est censé être une zone de protection relevant des attributions de la conservation forestière. Des actes de défrichement de grande envergure sur terrain en pente supérieure à 60°, le long de la RN 27 (Constantine-Jijel) et en aval de la digue du barrage de Beni Haroun et du viaduc de Oued Dib, sont opérés dans l'indifférence totale, au profit de bénéficiaires dans le cadre des concessions des terres attribuées par l'administration des forêts de Mila à des usagers. L'abattage à l'emporte-pièce d'arbres en amont du barrage, le défrichement des sols, côté digue du barrage, les tracés routiers et les pistes dégagées au bulldozer sans fosses d'évacuation des eaux pluviales, l'« ébrêchement » des berges du barrage le long de la voie express (RN 27), conduiront fatalement, d'ici à une dizaine d'années, à la déstabilisation totale de la nature et provoqueront des affaissements de terrain lourds de conséquences, si, entre temps, un programme de masse globale de couverture végétale n'est pas entrepris. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à effectuer un petit tour du côté de l'agglomération sinistrée de Sibari qui a vécu, il y a peu de temps, une véritable catastrophe de glissement en grande masse de terrain. Comment expliquer, dès lors, que les habitations entières se sont affaissées ou ont été partiellement englouties, rappelant sur bien des aspects la tragédie de Boumerdès, sinon le manque flagrant d'une étude d'impact sur l'écosystème de cet ouvrage.
L'administration au banc des accusés
Pouvait-il en être autrement lorsque vestiges de l'insouciance et de la bêtise humaine aidant, l'on vient à massacrer la nature au mépris de la sécurité des riverains et au grand dam du trésor de l'Etat ? Preuve en est que le bassin versant du barrage s'apparente, à présent, à un puzzle harmonieux auquel, à présent, à un puzzle harmonieux auquel on a subtilisé des pièces maîtresses. Au décapage systématique de grands espaces sur les collines et au flan de la montagne, la nature ne pouvait que faire son œuvre : ravins, terrains lézardés, glissements de terrain à répétition et tutti quanti. Le démaquisage tous azimuts a causé de grands dégâts aux genêts, à l'oléiculture et à l'espèce du câprier, essence protégée par la loi et contribué à l'accélération du processus d'érosion et de fragilisation des sols, d'où le glissement inévitable de tout le versant dénudé. Par ailleurs, l'anarchie et le je-m'en-foutisme sont monnaie courante du côté des communes de Beinen, Tassala et Amira Arrès, où la dénudation des sols, l'abattage du chêne-liège et les constructions illicites se conjuguent à tous les temps. A quoi assimiler sinon à une parfaite incongruité cet acharnement sur des centaines d'arbres coupés arbitrairement et achevés à la tronçonneuse, alors qu'ils étaient hors-côte, puis, comble de l'ironie, sommairement brûlés à ras de terre pour dissimuler l'impact de la tuerie. Deux natures diamétralement opposées. Une forêt exubérante et resplendissante, à l'aval de la digue du barrage et un bassin versant défiguré et agonisant. Entre les deux s'insère la lancinante question qui brûle les lèvres. Qu'a donc fait la conservation des forêts pour stopper l'hémorragie, sinon exceller dans la gestion des chiffres derrière les bureaux ? L'on est tenté d'induire, au risque d'écorcher au passage quelques susceptibilités, qu'elle a tout au plus provoqué une tempête dans un verre d'eau, en brandissant à bras- le-corps et en trompe-l'œil, une quarantaine de minuscules et inconsistants projets de reboisement, de correction torrentielle, de désenclavement ou encore de mise en valeur agricole. Bref, une simple manœuvre subversive en basse campagne.
L'association Nour Beni Haroun dénonce
« La pilule est trop grosse pour être avalée. » C'est en ces termes que le président de l'association Nour Beni Haroun pour la protection de l'environnement, l'aménagement et l'organisme, Dr Hassène Boukazzoula, résumera le virulent réquisitoire dressé contre les vrais ennemis de l'environnement. « L'administration forestière est responsable à part entière quant aux conséquences et dommages qui peuvent affecter les ouvrages économiques tels le barrage de Beni Haroun, le viaduc de Oued Dib et la voie express (RN 27), outre les retombées gravissimes sur l'environnement dans toute la région », renchérit notre interlocuteur. Et d'alerter : « Le démaquisage du sol forestier et les zones défrichées sont de même nature pédologique et hydrologique que les terres de Sibari dont le terrain en glissement par grande masse a provoqué l'érosion progressive et l'ébrêchement des berges du barrage. » Le manque de combinaison mécanique et biologique dans l'opération de gabionnage, la propension coupable à l'abattage des arbres à défaut de procéder à leur dégagement et à leur greffage, la faible densité de plantation d'oliviers sur les terrains débroussaillés comme agents protecteurs contre l'érosion, soit (110 p/ha), l'inexistence de consolidation des berges du barrage en murs de protection, la sulfureuse affaire des 200 constructions illicites en milieu forestier sans aucun appel en justice sont, à l'évidence, les autres facettes cachées d'une hécatombe qui ne dit pas son nom. L'association Nour (lumière) Beni Haroun, par la voix de son président et non moins chirurgien dentiste, M. Boukazzoula, affirme que la remise en état des parcelles dénudées passe par un reboisement en plein des espèces forestières adaptables au milieu physique, d'une densité de 1600 p/ha, pour permettre la fixation immédiate des terrains exposés à l'érosion. Encore faudrait-il que le décret 87-01 du 5 avril 2001, définissant les modalités d'autorisation et d'usage sur des terrains en concession relevant du domaine forestier national, soit appliqué dans toute sa rigueur. Les personnes éligibles à l'exploitation de ces concessions sont prioritairement les riverains, les cadres au chômage, les agronomes, les vétérinaires, les forestiers et les jeunes qualifiés dans le domaine agricole et l'élevage. Alors, ces extractions végétales répétitives et ces défrichements intempestifs de parcelles ayant pignon sur la RN 27 profitent à qui exactement ? Qui sont ces bénéficiaires dont la vocation professionnelle est aux antipodes des activités forestières les plus élémentaires ? Par quelle alchimie abracadabrante est-on arrivé à attribuer à de caciques usagers des exploitations forestières, alors que les ruraux et les paysans de ces régions escarpées où il est difficile de vivre, en sont évincés ? A moins que le rétablissement de la situation sécuritaire et le site attractif et féerique que ne manquera pas d'offrir le gigantesque barrage de Beni Haroun, en plus des atouts touristiques indéniables que recèle la région n'aient inspiré les barons de « l'investissement » trompeur à s'y établir. En tirant la chasse sur cette mascarade, l'association Nour Beni Haroun a tout bonnement clamé tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Fermer l'œil sur ces dépassements chargés de risques et de catastrophes virtuelles, nous fera penser indubitablement au serpent qui se mord la queue ! Alors.


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