Une immense figure de la Révolution algérienne et un grand démocrate nous a quittés. Le colonel de l'ALN Salah Boubnider, dit « Salah Sawt Al Arab », vient de s'éteindre des suites d'une longue maladie. Un homme irremplaçable qui laisse un grand vide parmi ses amis. Même ses adversaires politiques lui vouaient un respect hors du commun. Dès qu'il a appris la maladie de Salah Boubnider, le président de la République, auquel pourtant il s'était opposé, a donné des instructions fermes pour qu'il soit pris en charge. Ce fils de Oued Zenati n'est pas n'importe qui. Il a un parcours militant impressionnant. Très jeune, il s'engage dans les rangs du PPA-MTLD, ce qui lui permet de côtoyer les grandes figures de la Révolution, tels Didouche Mourad, Larbi Ben M'hidi, Zighoud Youssef, Mustapha Ben Boulaïd et Mohamed Boudiaf. Très discret, il refuse de parler de lui-même, mais n'hésite pas à dire tout le bien qu'il pense de ses prestigieux compagnons de lutte. Il sillonne beaucoup le Constantinois pour le compte du parti. Une activité qui le fait repérer rapidement par la police coloniale. Et ce qui devait arriver arriva. Au lendemain des manifestations du 8 Mai 1945, une campagne d'arrestations est déclenchée par la police. Il sera parmi les premières personnes à être arrêtées. Sa mère vendra l'unique vache qu'elle possède pour lui constituer un avocat. C'était un pied-noir. « Le salaud ! Au lieu de me défendre, il m'a enfoncé », raconte-t-il avec humour. Il sera condamné à une lourde peine de prison qu'il purgera d'abord à Constantine, puis à Barberousse, à Alger. Après sa libération, il reprend son activité militante. Arrive le 1er Novembre 1954. Il se retrouve automatiquement aux côtés de Zighout Youssef, le chef de la Wilaya II (Nord-Constantinois) pour le premier coup de feu. Il se fait remarquer pour ses talents d'organisateur, ce qui lui fait gravir rapidement les échelons et devenir ainsi colonel de la wilaya. Peu disert, il avait parfois des « sorties » étonnantes. Il dira un jour : « Je ne suis pas un moudjahid, je n'ai pas mené une guerre sainte. Je suis un combattant de la liberté qui a lutté contre le colonialisme. » Il a son franc-parler et n'hésite pas à dire non à ses compagnons s'il estime qu'ils ont pris une décision inique. C'est ainsi qu'avec Ali Kafi il condamnera les purges déclenchées par Amirouche dans la Wilaya III et Youssef Khatib dans la Wilaya IV. De par son grade, il est automatiquement membre du Conseil national de la révolution algérienne (CNRA). Et à ce titre, il assiste au congrès tenu en juillet 1962 à Tripoli. Lors de cette réunion, il n'hésite pas à s'attaquer à Ahmed Ben Bella qui, affichant déjà son ambition de jouer les apprentis dictateurs, s'en est pris de façon très vulgaire à Benyoucef BenKhedda, alors président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). C'est Sawt Al Arab qui lui répond. « C'est un langage de berger, lui dit-il. Tu n'as pas à parler ainsi au président de la République. » Un brouhaha s'ensuit. La séance est levée. Le chef de la Wilaya II devient un farouche opposant au premier Président de l'Algérie indépendante. Et c'est donc le plus naturellement du monde qu'il se trouve dans le Conseil de la révolution qui, le 19 juin 1965, destitue Ahmed Ben Bella. Salah Boubnider est un partisan acharné de la régionalisation, voire du fédéralisme. « Le peuple algérien, explique-t-il, n'aime pas un pouvoir centralisateur. D'ailleurs, avant la colonisation, le dey d'Alger n'avait pas un pouvoir absolu sur le reste du pays. Les beys disposaient de très larges prérogatives qu'il ne pouvait pas remettre en cause. » Au sein du Conseil de la révolution, il a défendu avec acharnement ses idées, mais il n'a pas été écouté par Houari Boumediène, partisan d'un pouvoir jacobin. N'ayant pas été entendu, il démissionne en 1967. En 1988, il est membre fondateur de la Ligue algérienne des droits de l'homme. Il ne reviendra sur la scène politique qu'avec l'arrivée au pouvoir de Liamine Zeroual. Celui-ci le nomme en 1996 à la tête de la Commission nationale indépendante de surveillance des élections législatives (CNISEL) où il sera secondé par le colonel Tahar Zbiri et le commandant Azzedine. Les trois deviendront ensuite membres du Sénat, dans le tiers présidentiel. L'homme était doué d'une intelligence aiguë et était un visionnaire. Lors d'une rencontre avec un petit groupe d'amis à la mi-août 1998 chez le commandant Azzedine, on discute évidemment politique. Il prend alors la parole pour dire : « Ecoutez, Zeroual ne se présentera pas pour un second mandat. Il est même capable de claquer la porte avant la fin de celui-ci. Il est donc impératif de se préparer dès maintenant pour trouver un candidat de la mouvance démocratique. » Le Comité des citoyens pour la défense de la République (CCDR) venait de naître. Il avait vu juste. Un mois plus tard, le premier président de l'histoire de l'Algérie élu sans trucage annonce sa démission dans les six mois qui suivent. Ammi Salah était aussi un ardent défenseur de la liberté d'expression. Il était de toutes les manifestations pour la défense de la liberté de la presse. On le voyait souvent dans les tribunaux quand des journalistes étaient jugés. Il va le prouver de façon encore plus éclatante. En 2001, lui ainsi que le commandant Azzedine et Abdelhak Brerhi démissionnent du Sénat en signe de protestation contre l'adoption d'un code de l'information qui restreint de façon draconienne le droit d'informer. Les trois hommes s'enchaîneront avec les journalistes devant le Sénat lors d'une manifestation organisée pour la circonstance. Il était aussi un grand ami d'El Watan.Lorsqu'en 1997 le journal a été suspendu, il a pris la tête d'une délégation du CCDR pour accompagner la nuit les responsables du journal qui s'étaient déplacés à l'imprimerie pour lui remettre les pages. Un geste de solidarité qui ne sera jamais oublié. C'est cet homme d'exception que nous venons de perdre. Tous ceux qui l'ont connu partagent certainement la même émotion.