Les électeurs libanais entament aujourd'hui le renouvellement de leur Parlement. Trois millions d'électeurs, dont 59% de musulmans et 41% de chrétiens, désigneront 128 députés à égalité entre chrétiens et musulmans. Le scrutin se déroulera en quatre phases, la première commençant dimanche à Beyrouth, suivie le 5 juin de celle du Sud, le 12 juin Metn (Centre) et Békaâ (Est), et le 19 juin le Nord. Selon un sondage d'opinion réalisé par la société Statistics Lebanon et publié cette semaine par le quotidien An Nahar, 78,21% des chrétiens et 68,03% des musulmans disent vouloir participer au scrutin. Au-delà de ces chiffres froids, il y a le fond de la question, puisque tout doit se faire conformément au Pacte national, ce fameux accord non écrit datant de 1943 et qui régit la vie politique au Liban. C'est en tout cas l'obstacle à la modernisation et même à la démocratisation du pays du Cèdre, car la démocratie, font valoir tous les spécialistes, est fondamentalement opposée à toute forme de quota. C'est pourquoi, disent-ils, le Liban est le pays des libertés, mais pas celui de la démocratie. L'électorat libanais que l'on dit encore marqué par un réflexe communautaire, malgré un fort désir de démocratie, n'aura pas tellement le choix, et cela même si certains se plaisent à conclure que l'élection libanaise constitue un nouveau jalon dans la démocratisation du Proche-Orient, après celles en Irak et dans les territoires palestiniens, en attendant les scrutins présidentiel et législatifs égyptiens. Ce qui n'est pas l'avis des jeunes Libanais, fer de lance du « soulèvement pour l'indépendance » ayant suivi l'assassinat de l'ex-Premier ministre Rafic Hariri le 14 février, qui se disent désabusés face à une campagne électorale où les enjeux réels (réformes des institutions, lutte contre la corruption, nouvelle loi électorale) ne sont pas apparus. La bataille électorale est en effet déjà conclue dans certaines régions, comme à Beyrouth où 9 des 19 députés de la capitale ont été élus d'office, à la suite du désistement ou en l'absence d'autres candidats. Le « rouleau-compresseur » des listes de Saâd Hariri, fils du dirigeant assassiné, est assuré de gagner à Beyrouth. Dans le Sud, 6des 23 sièges sont également déjà pourvus. Mais alors que l'opposition avait présenté un front uni au lendemain du meurtre de Rafic Hariri, elle se présente divisée à ces élections. Et l'on voit mal comment le général chrétien Michel Aoun pourra mener sa guerre contre le système confessionnel, vécu comme un carcan par ces jeunes avides de démocratie. Le traumatisme de l'assassinat de Rafic Hariri a agi comme un catalyseur et un électrochoc pour l'ensemble de l'opposition, qui l'a imputé à la Syrie ou à ses « agents » au Liban. Ces élections que l'on dit libres car elles se tiennent après le retrait militaire syrien, et qui se dérouleront sous la surveillance d'observateurs internationaux, ont été qualifiées de « bon pas en avant » par la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice. Les Libanais pourront-ils aller plus loin sans faire courir le moindre risque à leur pays ? Le président libanais Emile Lahoud a en tout cas mis en garde contre certaines dérives, et rappelé que son pays n'était ni l'Ukraine ni la Géorgie.