Loin de la vision carte postale, les métiers de la mer ne rendent pas forcement riches et ne sont pas de tout repos pour les pêcheurs de Mers El Hadjadj, une crique située à l'est d'Arzew. Bencheikh a 45 ans. Il ressemble à tous les marins-pêcheurs : beau parleur, visage cuivré par le soleil et le sel et bras taillé dans le roc. Cette année, les prises sont beaucoup plus importantes, dira d'emblée notre interlocuteur pour ne pas faire dans le tout va mal. Le froid qui a sévi l'hiver dernier, explique-t-il, et la houle qui l'a accompagné pendant 7 longs mois a permis le renouvellement plus qu'appréciable du poisson. Et de préciser : « Face à cette embellie, les contraintes en tous genres sont beaucoup plus nombreuses. A commencer par la cherté du matériel. La pièce de filet coûte très chère et il arrive souvent que les chalutiers qui ratissent tout sur leur passage emportent ces filets avec leurs puissantes hélices. Le plomb, les flotteurs, le fuel, le rapiéçage des nasses déchirées, le paiement de l'apprenti pêcheur et la sécurité sociale, tout ça coûte énormément cher. » « Mais le grand problème, ajoutera-t-il, c'est l'inexistence d'un port d'échouage. » « J'avais une remise située sur la plage du petit port dans laquelle je parquais mon embarcation et tout le matériel. A la suite des inondations du 11 novembre 2001, nous avons été délogés par les autorités publiques qui ont construit, à la place, un mur de soutènement pour fortifier les remparts contre d'éventuelles marées. Ils nous ont promis d'autres emplacements mais, depuis, nos embarcations restent à même la plage. Endommagés, nous sommes tout le temps contraints de réparer les écorchures avec de la résine achetée 1 200 dinars le kilo. » Bencheikh qui, néanmoins, ne crie pas misère, compte s'inscrire, dès le mois de septembre prochain, dans un cursus d'enseignement pratique que va organiser l'école de pêche d'Oran, ce qui lui permettra, précisera-t-il, « d'avoir un fascicule de pêcheur professionnel et de cotiser à la sécurité sociale pour mes vieux jours. » Le temps est beau et le « chergui » s'est assoupi. Demain, dira-t-il tout en rapiécant ses filets, « je sortirai à 7 heures du matin. Le trajet qui doit me mener du côté de Stidia, je le ferai en deux heures. A 11 heures, j'aurai fini de retirer le poisson qui est déjà pris à cette heure-ci. « Je prie Dieu, toutefois, que mes nasses ne soient pas emportées cette nuit-là par ces nombreux galions mostaganémois qui ratissent tout sur leurs passages. » Enchaînant : « Ils font la loi. » Il affirme que jamais il n'a eu « de souci pour écouler la prise du jour. En effet, beaucoup de mandataires installés dans le village et qui rachètent tout auprès des 40 marins-pêcheurs de la localité permettent un écoulement facile de toutes les prises. Chaque jour aussi, des restaurateurs et des poissonniers viennent d'Oran et d'ailleurs avec leurs camions frigos pour acheter nos produits. En homme de terrain, il parlera aussi, avec une rage mêlée d'amertume, de la pêche illégale, notamment celle pratiquée par les plongeurs munis de bouteilles d'oxygène. « Des gens qui font peu de cas des interdits », déclare-t-il. « Le mérou encore jeune est malheureusement massacré sur tout le littoral », renchérit-il. Il est très tard et Bencheikh, content d'avoir tout déballé, n'en finit pas de clamer que son métier le comble d'un bonheur total, même s'il ne le rend pas forcément riche.