C'est en dévalant l'autoroute asphaltée que nous filons vers la petite localité de Mers El Hadjadj, où l'on aborde les tronçons de route en lisière typiques des petits villages de pêcheurs. À Mers El Hadjadj, peu exubérante en période hivernale, même les paysages délicats et les scènes des oiseaux migrateurs que révèle la zone humide et les dépressions sont empreints de gravité. Malgré des handicaps liés à l'enclavement et au relief accidenté de son territoire, Mers El Hadjadj est une localité à vocation agropastorale qui veut sortir de l'oubli. Avec des projets ambitieux et son architecture prématurément vieillie, Mers El Hadjadj est marquée par son destin de ville à l'orée de la mer. Certes, de nouvelles constructions ont été édifiées pour loger la population de bidonvilles et de taudis à l'emplacement desquels sont implantés des espaces verts et des terrains de football. Mais, en vérité, Mers El Hadjadj, située en un point particulièrement stratégique en bordure des pôles pétrochimiques de Béthioua et Arzew, est avant tout un nœud de communication maritime et terrestre, l'une de ces plaques tournantes, comme Mostaganem, plus à l'Est. Située à 45 kilomètres à l'est d'Oran, Mers El Hadjadj voit son gisement de tuf exploité et vendu à des particuliers sans bénéfice aucun pour la commune. Muni d'une simple autorisation, l'exploitant extrait des entrailles de la carrière des tonnes de tuf sans verser un seul centime à la mairie. “L'exploitation erratique de cette carrière ne repose sur aucun substrat. Il n'y a pas eu d'étude d'impact préalable pour l'extraction du tuf dont la quantité est estimée à 200 millions de mètres cubes”, s'offusque le maire de cette localité de 12 000 âmes. Cette situation, qui fait perdre à la commune 20 millions de centimes par jour, incommode le responsable de l'APC qui tire la sonnette d'alarme sur la gravité de cet état de fait qui lèse la vie socioéconomique des citoyens. En effet et vue de près, l'extraction à outrance du tuf a fini par provoquer des disparités au niveau des terres agricoles dont les propriétaires ont, depuis longtemps, plié bagage. Pour des raisons évidentes liées à l'environnement, des superficies importantes ne sont plus exploitées par les agriculteurs. Ainsi, sur les 20 fellahs qui exploitaient les terrains agricoles arables, seuls 10 d'entre eux ont pu s'accrocher à leurs exploitations. À côté de ces extrêmes, le chômage, qui touche de plein fouet 30% des jeunes, n'est pas fait pour arranger les choses. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la localité de Mers El Hadjadj ne profite pas de la manne pétrochimique des pôles industriels d'Arzew et de Béthioua. Hormis le budget de fonctionnement annuel qui s'est élevé cette année à 3 milliards de dinars, Mers El Hadjadj fait piètre figure devant les deux communes qui bénéficient de la taxe sur l'activité professionnelle (TAP). “Nous demandons seulement la restitution de notre patrimoine qui suffirait largement à faire vivre la commune”, déclare Bendjelloul Habib. Selon notre interlocuteur, une partie de la carrière de sable est anarchiquement exploitée par une tierce personne qui “n'a cure de la situation économique de Mers El Hadjadj”. Même l'exploitation de la plage qui s'étend sur plus de 3 kilomètres sur la partie nord-ouest du littoral est assiégée par des masses incommensurables de remblai. Cette situation, qui est générée depuis plus de vingt ans par le grand pollueur Sonatrach, pénalise doublement les vacanciers et la localité qui voit sa population multipliée par dix durant la saison estivale. Les habitants de Mers El Hadjadj lorgnent les potentiels investisseurs pour faire prospérer le tourisme balnéaire dont la beauté du site est incomparable. Mais si 60% de la population vit de l'agriculture, 40% des habitants de Mers El Hadjadj aspirent à vivre du secteur du tourisme. L'inexistence de structures d'accueil comme les hôtels ou les complexes dénaturent le sens même du cachet de Mers El Hadjadj qui reste, malgré tout, une ville côtière par excellence. La présence de l'unique camp de toile non viabilisé exploité par un particulier ne favorise par l'essor du tourisme balnéaire. Les estivants, qui préfèrent louer des maisons aux habitants, ne s'embarrassent guère de préjugés. “Les rares investisseurs qui daignent mettre leur argent dans des projets touristiques se rétractent devant l'absence de viabilisation, ajoutée à la catastrophe écologique occasionnée par Sonatrach et l'exploitation abusive des carrières de tuf et de sable”, déplore le maire. Devenue commune à la faveur du découpage administratif de 1985, Mers El Hadjadj est aussi un port de pêche et un comptoir de négoce qui remonte à l'ère punique. Aujourd'hui, aucune trace de ce passé florissant n'est apparent, et les jeunes pêcheurs ne peuvent aller en mer faute du précieux fascicule qui ouvre la voie marine aux embarcations de pêche de fortune… B. Ghrissi