Décidément, le Liban éprouve des difficultés à relever la tête et le départ précipité, et imposé, des forces syriennes qui ont stationné dans le pays des Cèdres durant 29 ans, n'a pas eu l'effet escompté, semblant même cristalliser les antagonismes apparus au fil de la campagne pour les législatives, dont la seconde phase, dans le Sud, est prévue pour demain. Ainsi, cent neuf jours après l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri et cinq jours après le début des législatives, prévues en quatre étapes, le meurtre de Samir Kassir a soulevé une forte émotion au Liban et dans le monde. Célèbre journaliste et opposant, Samir Kassir a été assassiné jeudi dans un attentat à la voiture piégée près de son domicile à Achrafieh, dans la banlieue de Beyrouth. Editorialiste de l'influent quotidien beyrouthin, An Nahar, Samir Kassir a été le fer de lance de l'opposition antisyrienne, signant une série d'articles sur «le régime militaro-policier», soutenu par Damas et exigeant le départ des troupes syriennes du Liban. L'évacuation des soldats syriens ne semble pas avoir été, pour cet opposant au long cours, une fin en soi, lequel s'est attelé a réclamer la démission des «pro-syriens», encore présents au pouvoir, et singulièrement celle du président Emile Lahoud. Tout récemment encore, il signait dans An Nahar un éditorial dans lequel il exigeait à nouveau la démission du président libanais condamnant, dans un éditorial paru dans An Nahar du 27 mai, la «répression en Syrie». Journaliste et éditorialiste du grand quotidien de Beyrouth, Samir Kassir, 45 ans, est aussi professeur de sciences politiques à l'université Saint Joseph de la capitale libanaise. Le défunt était membre fondateur du mouvement d'opposition de la gauche démocratique. Il s'engagea totalement dans le combat pour la construction d'un Liban libre et démocratique débarrassé de la tutelle étrangère et syrienne plus particulièrement. L'assassinat de Samir Kassir qui a soulevé une immense émotion au Liban n'a pas été revendiqué, mais l'opposition, tout en pointant du doigt la Syrie et les «pro-syriens», exige dans la foulée le départ du président Lahoud, dont la position devient en vérité intenable, isolé qu'il est dans un champ politique libanais en pleine mutation. Pour le chef du gouvernement de transition, Nagib Miqati, la mort de Samir Kassir visait «la sécurité et la liberté du Liban», alors que son ministre de l'Intérieur, Hassam Al-Sabeh, renchérit et accuse «les tenants du régime policier et ceux qui ont gouverné le pays de manière illégale et anticonstitutionnelle», leur imputant de vouloir empêcher «l'émergence d'un Etat démocratique et l'élection d'un nouveau Parlement». Pour sa part, l'opposition, dans un communiqué lu par l'un de ses membres, Elias Attalah, estime que «le meurtre de Samir Kassir, symbole du journalisme engagé et défenseur de la démocratie, constitue un nouveau crime dans la série noire qui vise la destruction de la patrie». Directement mis en cause, le président Emile Lahoud qui se défend «d'envenimer les choses», a indiqué: «Je ne répondrai pas à ces critiques. Mon but n'est pas d'envenimer les choses. Mon seul but est de restaurer l'unité des Libanais. Je laisserai à la commission d'enquête internationale le soin de mener à bien son travail pour déterminer la partie responsable de tous ces assassinats et ces morts. Entre-temps, je suis déterminé à ne laisser personne ébranler la stabilité et la sécurité du pays.» M. Lahoud a par ailleurs, indiqué qu'il allait demander au comité onusien qui enquête sur l'assassinat de Rafic Hariri, d'intégrer le meurtre de Samir Kassir à cette recherche, déclarant qu'il aurait vendredi (hier) un entretien avec le chef de la mission de l'ONU, le procureur allemand Detlev Mehlis, qui séjourne depuis le 26 mai à Beyrouth, dans le cadre de l'affaire Hariri. A l'ONU, le secrétaire général, Kofi Annan, «condamne vivement l'assassinat à Beyrouth de Samir Kassir, un important journaliste connu pour son franc-parler», a indiqué son porte-parole dans un communiqué. Paris qui a condamné «avec la plus grande fermeté» l'assassinat de Samir Kassir, -qui dispose de la double nationalité française et libanaise-, a rendu hommage «à la personnalité de Samir Kassir, l'un des symboles de la liberté de ton et de l'indépendance de la presse libanaise». Se joignant à cette indignation unanime, Amnesty International a demandé au Liban d'ouvrir rapidement une enquête indépendante sur cet assassinat.