Dix années après le lancement du processus de Barcelone, l'on en est encore à méditer un plan de mise en œuvre d'un partenariat multiforme entre les deux rives de la Méditerranée. La cadence est lente et par certains côtés elle est même stationnaire. Le sentiment est largement répandu en tout cas parmi les équipes dirigeantes des trois pays du Maghreb, Algérie, Tunisie et Maroc, qui, au cours d'une journée de débats à Barcelone à l'occasion de la 3e édition de North Africa business development forum (NABDF), organisée le 30 mai dernier par l'IEMED (Institut européen de la Méditerranée), ont eu à étaler au grand jour leur désappointement. " Il ne fait pas de doutes que cette dynamique d'intégration a favorisé la modernisation économique et a ouvert la voie à de nouvelles opportunités d'investissement et de croissance, toutefois certaines insuffisances continuent à accompagner ce processus ". Ce constat de la part du secrétaire d'Etat tunisien auprès du ministère du Développement et de la Coopération internationale et de l'Investissement extérieur, Khélil Lajimi, exprime "la déception " de son pays, un sentiment partagé du reste par les pays voisins du Maghreb, qui ont du mal à admettre le faible engagement de l'Union européenne dans le soutien des pays de la rive sud de la Méditerranée à réussir la mise à niveau de leurs économies. Et il n'est meilleur commentaire pour le Tunisien afin de rendre compte des résultats manqués du projet lancé en grande pompe pour la réalisation de " la zone de prospérité partagée " que de mettre l'accent sur les décalages. "L'écart de développement entre les deux rives ne cesse d'augmenter accentuant ainsi les disparités sur les plans économique, social et technologique. Le déséquilibre des échanges reste encore important, les pays du Sud enregistrent des déficits commerciaux structurels avec l'UE ". Ces propos, qui ont en définitive valeur de programme pour qui veut bien les traduire en actions concrètes à projeter dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen, vont-ils trouver une oreille attentive auprès des Européens ? Ces derniers, qui n'ont pas fait mystère de leur position en la matière, ne manquent pas l'occasion de parler de l'effort d'intégration régional auquel doivent s'atteler les pays du Marghreb. On attribue au partenariat ce qu'on emprunte au marché. Au niveau de l'intégration maghrébine, les évolutions sont pour ainsi dire languissantes. Mais un autre élément nouveau et non des moindres vient de s'ajouter à une situation déjà peu reluisante du partenariat entre les deux rives de la Méditerranée. L'effet UE Le vote français contre la ratification de la Constitution européenne le 29 mai dernier a comme eu pour premier effet de faire douter déjà certains observateurs attentifs présents au forum sur le succès de la redynamisation du processus de Barcelone. Martin Wolf, commentateur en chef du Financial Times, n'en pense pas moins. Et il serait d'autant plus curieux de savoir comment est-ce que le partenariat euro-med pourrait évoluer si dans le même temps, en tant qu'entité politique, le projet UE n'a pas encore l'aval des peuples européens. Le commentateur du Financial Times considère pour sa part que cette entreprise du projet euro-méditerranéen est d'autant plus remise en cause que l'Europe, à l'instar de la réaction inattendue du vote français en faveur du non pour la Constitution européenne, sera freinée déjà. Il plane ainsi un ciel gris sur " la capitale " de la Méditerranée dont le processus de Barcelone a vu le jour en novembre 1995. Hormis les supputations du jour toutefois, il est bien établi que l'échec de ce processus est difficile à dissimuler. Le partenariat est presque réduit aux opérations commerciales tandis que l'appui financier attendu pour le développement de la rive Sud semble ne pas convenir aux exigences de l'heure. Marocains, Tunisiens et Algériens font un constat identique du manquement aux objectifs tracés. L'on réclame unanimement une implication sérieuse des Européens dans la mise en mouvement des IDE (investissements directs étrangers) en direction des pays du Maghreb. Faisant parler les chiffes, le secrétaire d'Etat tunisien affirme que " les investissements directs étrangers qui se dirigent vers la zone méditerranéenne ne représentent qu'à peine 5% des flux vers les pays émergents, 1,7% du total mondial et 2% des investissements réalisés par les pays de l'UE à l'étranger ". Autant dire tout de suite que les pays du Maghreb tiennent absolument à faire comprendre leur désarroi face à l'embrouillement d'un partenariat qui n'a le mérite d'exister aujourd'hui encore qu'en termes de projets. La politique européenne vise à pousser les pays du Maghreb à plus de réformes dans le sens de l'ouverture de leurs économies. Des accords d'association sont signés séparément avec la Tunisie, le Maroc et l'Algérie pour ne parler que des pays de la région Maghreb. Globalement, il s'agit de mettre en place une zone de libre-échange à l'horizon 2010. Mais que de contraintes ne sont-elles pas soulignées pour la réalisation de cet édifice. Il en est ainsi des multiples difficultés rencontrées dans la circulation des personnes entre les pays de l'UE et de la Méditerranée du Sud, parfois d'une bureaucratie insoupçonnée. L'autre obstacle se situe au niveau des pays de la rive Sud. " La dimension Sud-Sud de la zone de libre-échange euro-med n'a pas connu le succès a contrario de celui entre le Nord et le Sud ". Intérêts bilatéraux Le ministre espagnol des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, intervenant à l'occasion, a affirmé l'importance qu'il accorde à la région. " J'espère que ce sera le Maghreb émergent. Le Maghreb est un espace politique et économique ayant un intérêt important pour l'Espagne ", tel est le commentaire qu'il a bien voulu mettre en relief comme pour souligner les attentes de son pays qui a abrité le forum des pays du Maghreb. Et d'ajouter : " Il est urgent que la croissance atteigne 7 à 8% pour qu'il n'y ait pas de tensions sociales et plus de pressions migratoires qui ont un impact sur les politiques ". Ceci pour ce qui concerne les politiques nationales, tandis que, en évoquant la question du Sahara-Occidental, il dira en guise d'appel lancé : « Il est plus urgent que jamais que toutes les parties concernées (allusion au problème du Sahara-Occidental, ndlr) prennent leurs responsabilités. » « Mon gouvernement, a-t-il ajouté, fera tout le nécessaire pour que dans le cadre des Nations unies cette situation soit réglée. » Il est à l'heure actuelle difficile en tout cas de ne pas remarquer l'intérêt, en bilatéral, qu'accordent chacun des pays de l'UE, notamment ceux ayant des traditions d'échanges avec les pays maghrébins. Le niveau d'évolution de ce processus de Barcelone a ceci de remarquable donc que les pays de la rive Nord sont dans une situation telle vis-à-vis du Maghreb que le commerce prend un essor sans que l'investissement (IDE) suive. Le 10e anniversaire de ce processus se tiendra en novembre prochain. C'est une opportunité pour relancer le principe incorporant de nouveaux objectifs et instruments, à la réunion des ministres des Affaires étrangères de l'UE, a affirmé M. Moratinos devant un auditoire fait des représentants des gouvernements du Maghreb, dont Hamid Temmar, ministre algérien chargé de la Participation et de la Promotion des investissements (MPPI), des chefs d'entreprises et d'experts. Le ministre espagnol des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, a annoncé la création de l'Observatoire économique du Maghreb, qui dépendra juridiquement de la Présidence du gouvernement, et dont l'objectif sera de renforcer davantage les relations économiques, commerciales et financières entre l'Espagne et les pays du Maghreb.