Le volume des échanges intermaghrébins est loin d'être négligeable, contrairement à certaines idées développées par des observateurs de la scène régionale. Si l'on excepte le caractère assez particulier des relations entre l'Algérie et le Maroc, surtout après l'épisode de l'expulsion massive des ressortissants algériens vivant au Maroc et de la fermeture des frontières terrestres entre les deux pays, le volume des échanges a toujours été important. Avant la fermeture des frontières, le Maroc bénéficiait d'une grande manne annuellement grâce au séjour des Algériens dans ce pays et des dépenses qu'ils ne manquaient pas de faire en tant que touristes. Dans les années 1990, les autorités algériennes avaient même avancé le chiffre de 1,5 milliard de dollars. Soit la somme des dépenses qui étaient le fait des Algériens qui passaient leurs vacances au Maroc. Vers la Tunisie, si le flux était moins important, il n'empêche qu'il existait déjà un mouvement de touristes qui contribuaient au chiffre d'affaires du registre "tourisme" pour la Tunisie. Un autre chapitre non négligeable est celui de la contrebande dont la valeur n'est pas quantifiée. Le Maroc, qui est le plus grand producteur de drogue (haschich), tire profit de la proximité de l'Algérie et les réseaux qui inondent l'Algérie de cette drogue sont nombreux. Le Maroc tire aussi profit de la contrebande des carburants qui est exportée illégalement de l'Algérie vers le Maroc vu que le prix en Algérie est inférieur de 4 fois. A l'Est et avec la Tunisie, le refus des autorités tunisiennes d'accepter l'importation de la bière Tango fabriquée en Algérie par le groupe Mehri n'a pas empêché les réseaux parallèles de l'acheminer et de la vendre en Tunisie vu qu'elle est très prisée par les consommateurs. Sur un autre plan, la datte algérienne est importée illégalement en Tunisie puis conditionnée sous le label tunisien et vendue au prix fort Les échanges intermaghrébins ne sont pas aussi insignifiants qu'on le croit. Mais le chapitre qui est le plus important et qui concerne l'énergie est sans conteste les recettes issues des droits de passage des deux gazoducs qui relient l'Algérie à l'Europe, via la Tunisie et le Maroc. L'Algérie a fait le choix stratégique de faire passer les deux gazoducs par ses deux pays voisins en se basant sur leurs effets structurants. L'histoire lui a donné raison même si dans l'affaire elle perd en valeur. Le partenariat euro-méditerranéen est aussi basé sur la boucle méditerranéenne et la sécurité énergétique passe par des interconnexions régionales. Sécurité énérgitique Il faut savoir qu'en 2004 et selon des statistiques marocaines officielles, la redevance au titre du transport du gaz à travers le GME (Pedro Duran Farell) sur le territoire marocain a été d'environ 24 millions d'euros durant le 1er trimestre 2005. Pour toute l'année 2005, il est attendu qu'elle soit d'environ 100 millions d'euros vu les volumes exportés et le prix du gaz qui a augmenté, indexé qu'il est sur celui du pétrole. On comprend mieux pourquoi le Maroc a entamé des pressions énormes, y compris en direction de compagnies pétroliers et gazières internationales, pour faire passer le deuxième gazoduc (Medgaz) par son territoire. Pourtant, le premier aurait pu être réalisé sans passer par le territoire marocain puisqu'il était possible d'acheminer du gaz algérien au Maroc par les canalisations qui existaient déjà sur le territoire algérien et envisager de relier l'Algérie directement à l'Espagne par voie sous-marine, comme cela va se faire avec le Medgaz (Beni Saf-Almeria). Ainsi, la rente tirée des hydrocarbures n'intéresse pas uniquement les Algériens, puisque même les pays voisins veulent la capter sous une forme ou une autre. Le Maroc et ses plus hautes autorités, à commencer par le roi, ont exercé aussi des pressions pour faire passer le projet de câble électrique algéro-européen. Si la Maroc a exercé des pressions pour influer sur la décision de l'Algérie de construire un deuxième gazoduc Algérie-Europe par voie sous-marine, la presse tunisienne a crié au scandale le jour de l'annonce du projet de deuxième gazoduc Algérie-Italie qui relierait directement la côte algérienne à la Sardaigne par voie sous-marine. Là aussi, le principe du captage de la rente joue à fond. Ce qui est valable pour le gazoduc qui passe par le Maroc est valable pour le pipe qui passe par la Tunisie. Il faut savoir que les volumes qui transitent par le Transmed (Enrico Mattei) sont trois fois plus importants que ceux qui passent par le GME. Si le Maroc recevra une redevance de 100 millions de dollars en 2005, la Tunisie doit recevoir environ 300 millions de dollars. Ces chiffres ne semblent pas intéresser les observateurs, pourtant ils sont révélateurs d'une situation qui existe depuis longtemps déjà. A savoir que la rente tirée des hydrocarbures exploités en Algérie intéresse au plus haut point les deux pays voisins, même si son captage doit se faire au détriment du pays producteur. La nouvelle situation économique de l'Algérie a changé certaines données et si la persistance de la vision ancienne perdure, il sera très difficile pour les pays du Maghreb de réaliser des projets en commun, à moins que ces derniers ne soient menés en groupement ou en consortium. L'exemple le plus frappant est celui de la coopération entre les sociétés nationales des hydrocarbures. Si les Tunisiens ont répondu favorablement à la proposition algérienne de créer une société mixte de recherche, société dont les activités ont démarré avec des concessions dans les deux pays, les Marocains ont fait la sourde oreille à la proposition algérienne qui a été faite depuis 4 années déjà. C'est sur des projets concrets et sur le terrain qu'on peut apprécier la volonté des uns et des autres de construire quelque chose de commun. Pour l'instant, on ne peut pas dire que c'est le néant qui domine, mais beaucoup de facteurs communs ne sont pas mis en valeur pour avancer et créer un espace économique créateur de richesses.