Mohammed Kali, journaliste à El Watan, vient de publier Théâtre algérien, la fin d'un malentendu, aux éditions du ministère de la Culture. Ayant couvert l'actualité théâtrale durant les années 1990, l'auteur s'est senti obligé de marquer un arrêt pour revenir sur les bouleversements dus à cette tragique décennie dans le quatrième art en la reliant à l'historique de la pratique et des structures durant trois décades. Il relève que cette sanglante période des années de feu et d'acier a paradoxalement permis à catalyser et à autonomiser les pôles de création théâtrale. L'expression théâtrale a ainsi rompu avec son « rôle social » dans l'Etat socialisant, s'est ouverte sur d'autres langues et a gagné une bonne partie de son autonomie des contingences idéologiques et des appareils de l'Etat. La violence, le deuil et la perte de figures illustres et de repères ont forcé les acteurs de ce secteur à se redéfinir, à redessiner leur champ d'action, à se reconsidérer eux-mêmes dans l'Algérie des cauchemars. Une Algérie dont la raison d'Etat tente de récupérer le théâtre dans le vaste chantier de la normalisation des années 2000. Autres biais dans lesquels se piège le quatrième art : la marchandisation des performances et démarches, « la censure de l'argent public et de la billetterie ». Résultat : une tendance lourde des textes à aller rencontrer le public sur le terrain d'un humour incertain. Ou carrément verser dans le registre moraliste des « mourchidine » et autres « mourchidate ». Inéluctables dérives lorsque le théâtre reste le seul secteur culturel sans réforme institutionnelle. Kali, auteur en 2002 de Vaincre l'échec scolaire, souligne en ce sens l'absence du quatrième art des programmes scolaires. La « refondation » du théâtre dans les années 1990, bien que salvatrice, reste otage des dysfonctionnements du violent désengagement de l'Etat qui, faute de contrôle utilitaire absolu, préfère s'absenter ou gérer le vide. Malheureuse illustration : l'auteur revient sur la grave détérioration de la situation des professionnels du quatrième art transformés en « intermittents du spectacle au statut des plus aléatoires et des plus fragilisants ».