Lourdes peines de prison ferme, fortes amendes et sévères réquisitoires. Le tribunal correctionnel de Sidi M'hamed près la cour d'Alger a condamné, hier, plusieurs journalistes et responsables de journaux de la presse privée pour « diffamation ». Condamnations assorties de fortes amendes. Ainsi, le caricaturiste Ali Dilem du journal Liberté a été condamné à six mois de prison ferme et à une amende de 250 000 DA dans l'affaire l'opposant au ministère de la Défense nationale (MDN). Son ancien directeur, Abrous Outoudert, a écopé, dans la même affaire, de deux mois de prison ferme et d'une amende qui équivaut à celle de Dilem. Le journal a été également condamné à payer un million de dinars. Le délit ? Une caricature datant du 29 novembre 2001, soit 19 jours après les macabres inondations de Bab El Oued (10 novembre 2001), à travers laquelle Dilem avait émis l'idée que les généraux généreux auraient donné de l'argent aux sinistrés de cette catastrophe à l'occasion d'un téléthon organisé pour la circonstance. Il avait mis dans sa première phylactère : « Il paraît qu'il y a même des généraux qui vont faire des dons d'argent », avant de rectifier dans la seconde : « On n'appelle pas ça des dons, mais des restitutions ». C'est humoristique ! Lors du procès, qui s'est déroulé le 31 mai 2005, le parquet avait requis six mois de prison ferme. Dilem a écopé de la totalité. Autre verdict : six mois de prison ferme et une amende de 250 000 DA infligés au journaliste du Soir d'Algérie Kamel Amarni pour « offense au chef de l'Etat ». Le directeur de la publication, Fouad Boughanem, a été condamné à deux mois ferme et à la même amende. 2,5 millions de dinars, c'est l'amende retenue contre le journal. Le mobile : un article paru, fin décembre 2003, intitulé : « Coup d'Etat ». Dans cet écrit journalistique, le rédacteur avait parlé de moyens importants de l'Etat qui ont été mobilisés, à l'époque, par le Président-candidat à la présidentielle du 8 avril 2004 en vue de se maintenir au pouvoir. L'article était, certes, critique, mais n'était pas diffamatoire ni attentatoire à l'égard de la personne du président de la République, avait insisté l'avocat de la défense, Me Khaled Bourayou. Journaliste, donc coupable ! Fraîchement condamné à l'ouverture de l'audience, Dilem reviendra, quelque temps après, à la barre pour s'expliquer sur une autre caricature qui remonte à septembre 2003. La plainte a été déposée par le ministère public pour « offense au chef de l'Etat ». Le dessin parlait de la campagne pour l'élection présidentielle d'avril 2004. Il suggérait que le Président-candidat à l'époque n'aurait pas bénéficié du soutien de l'Armée. « Comme c'est connu du commun des mortels que ce sont les généraux qui l'ont ramené et soutenu pour briguer son premier mandat, j'ai eu cette idée qui traverse l'esprit de beaucoup d'Algériens que l'armée l'aurait lâché cette fois-ci », a-t-il expliqué devant la juge, s'étonnant de cette énième plainte pour « diffamation ». « Je ne vois aucun trait ou mot diffamatoires. C'est un fait artistique, suggérant un peu d'humour », ajoute-t-il. Plaidant non-coupable, l'avocat de la défense Me Bourayou a souligné que « le délit est en eux-mêmes. Ils sont coupables d'avoir choisi cette profession ». Avant d'ajouter : « Mon client m'a dit, en route vers le tribunal, qu'il ne doute pas de sa condamnation à six mois de prison ferme. » Car, a-t-il enchaîné, « c'est devenu systématique ». Journaliste, donc coupable. L'avocat de la défense avait, pour rappel, déclaré le 7 juin dernier lors d'une plaidoirie : « Il y a des gens qui ont intérêt à dresser un mur entre le chef de l'Etat et la presse. » Le tribunal a, en revanche, débouté, lors de la même audience, le président du Haut Conseil islamique (HCI) dans une autre affaire de diffamation l'opposant au journal Le Soir d'Algérie. La juge a déclaré « l'irrecevabilité de la citation directe » pour vice de forme. Le procès de Salima Tlemçani, journaliste à El Watan, contre la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN) a été renvoyé au 21 juin pour convoquer la journaliste mise en cause. Une autre affaire concernant El Khabar a été reportée au 28 juin. Le même jour, Mohamed Benchicou, qui vient de purger la moitié de sa peine de deux ans ferme, comparaîtra, à nouveau, devant le tribunal d'Alger en répondant à une plainte déposée puis retirée par l'ancien président du Conseil constitutionnel, Mohamed Bedjaoui, nommé en mai dernier ministre des Affaires étrangères. Ainsi, devant l'averse de plaintes qui tombent, quotidiennement, sur le dos des journalistes et des éditeurs, le tribunal d'Alger ne risque pas de désemplir cet été. Et le bilan des « mardis noirs » de la presse algérienne s'alourdira de semaine en semaine, promettant des jours plus sombres à cette corporation.