Les deux jours du sommet de Bruxelles n'auront pas suffi à aplanir les divergences entre Européens. Durant la journée, les chefs d'Etat et de gouvernement ont de manière unanime refusé d'enterrer le projet de constitution et de lui accorder un sursis en quelque sorte en prolongeant la période de ratification jusqu'en 2007, c'est-à-dire d'une année. La décision aura pour but d'enrayer les effets du non des référendums français et néerlandais ; et par conséquent de reporter une demi-douzaine de ratifications (Danemark, Suède, Finlande, Portugal, République tchèque, Irlande) et d'ajourner le référendum prévu pour le 10 juillet prochain au Luxembourg, pays qui préside actuellement l'Union. Et c'est sans doute pour l'ensemble de ces raisons que les dirigeants européens ont proposé « un plan D comme démocratie » à leurs citoyens, préconisant un vaste débat dans chaque pays pour tenter de convaincre les opposants à la nouvelle Constitution, un pari ambitieux mais très incertain. « Plus jamais de plan B mais un plan D de démocratie et de débat », a lancé le président luxembourgeois en exercice de l'Union européenne, Jean-Claude Juncker, reprenant une formule du président de la Commission, José Manuel Barroso. Dès les rejets par une majorité de Français et de Néerlandais de la Constitution, tous les responsables européens avaient assuré qu'aucun « plan B », ouvrant une alternative à la Constitution, n'était caché dans un placard à Bruxelles, le seul traité continuant à s'appliquer étant celui de Nice (2000). M. Juncker a clamé dans la nuit de jeudi à vendredi son « optimisme » sur la possibilité de convaincre les Européens hostiles, grâce à un « grand débat qui doit avoir lieu dans tous les pays : un débat qui sera surtout un débat national, que chaque pays animera à sa manière ». Ce débat doit être mené dans les deux pays qui ont dit non au traité, chez les dix qui l'ont ratifié et ceux qui ne l'ont pas encore fait. Les 25 ont décidé que chaque pays pourrait suivre son rythme dans la ratification, avant un examen sous présidence autrichienne en juin 2006. En attendant, a dit M. Barroso, « l'UE ne s'arrête pas, l'action continue, nous sommes à l'écoute : c'est cela le plan D ». MM. Barroso, Juncker et le président du Parlement européen Josep Borrell, représentant des trois institutions européennes, ont fait chorus, devant des centaines de journalistes, pour faire passer leur message : « la société civile a la parole. » Causant une certaine surprise, ils se sont targués de l'unanimité des 25. « Pas un seul n'a demandé l'arrêt définitif du processus de ratification », ont-ils dit. Pas une seule voix qui aurait pu bloquer un accord n'a manqué, pas même celle des Néerlandais, très critiques. « Il n'y aura pas de meilleur traité », « personne n'a suggéré une renégociation ou une négociation », « la voie rationnelle et constructive » a été choisie, entre l'abandon et faire comme si de rien n'était, ont affirmé de concert les trois présidents. « C'est le contexte, pas le texte » qui explique les rejets, ont-ils aussi plaidé, faisant allusion à des motifs comme le chômage, l'élargissement ou l'immigration illégale et compliquée, en fonction de leurs intérêts nationaux. C'est dans ce climat assez tendu que les dirigeants européens se sont efforcés de se montrer rassurants, à l'instar du Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, pour qui ni les Néerlandais ni les Français n'ont vraiment rejeté le traité, dans lequel « beaucoup de questions trouvent leur réponse ». « Il y a cependant un sentiment fort que les citoyens refusent l'Europe telle qu'elle est. On a omis d'expliquer l'Europe telle qu'elle est. » Mais au-delà de cette unanimité, des divergences sont apparues notamment dans l'élaboration du budget communautaire tel que le désaccord entre Français et Britanniques sur la question du rabais demandé par le Royaume-Uni. A tel point que certains observateurs ont estimé qu'on avait frôlé l'échec à Bruxelles. En effet, le Premier ministre britannique a renouvelé d'emblée son refus d'un retour sur la ristourne accordée depuis 1984 à son pays. « Notre position sur le rabais reste la même. Nous continuons de penser qu'il est pleinement justifié » en raison de la « distorsion » du budget européen, a affirmé son porte-parole. A l'opposé, le président français a jugé « insuffisant » le gel du rabais à partir de 2007, proposé par le président en exercice des 25, Jean-Claude Juncker. Tout en estimant que la proposition du Premier ministre luxembourgeois de fixer à 870 milliards d'euros le budget 2007-2013 de l'UE « peut constituer la base d'un accord », M. Chirac a exclu d'aller au-delà. Il a aussi écarté toute remise en cause des dépenses de la politique agricole commune (PAC), à laquelle M. Blair cherche à lier le débat sur le rabais britannique pour se trouver des alliés. C'est dire combien les discussions ont été difficiles à Bruxelles au cours d'un sommet européen particulièrement marqué par le syndrome du non français et néerlandais.