Plusieurs magistrats du Conseil d'Etat ainsi que les présidents des chambres administratives ont pris part hier à une journée d'étude sur les passations de marchés publics et la responsabilité de l'Etat. Cette rencontre, à laquelle ont pris part deux conseillers du Conseil d'Etat égyptien (jumelé en septembre 2003 avec son homologue algérien), vise, selon Mme Hanni, présidente du Conseil d'Etat, plusieurs objectifs. En effet, selon Mme Hanni, il s'agit d'« approfondir et améliorer les connaissances des juges sur le droit en matière de passation de marchés publics. mais également la responsabilité la plus large possible de l'Etat en cas de préjudice causé par ces derniers ». Le docteur Mamdouh Seddik Essayed Derouiche, vice-président et secrétaire général adjoint du conseil d'Etat égyptien, a fait état dans une longue intervention des textes qui régissent les marchés publics dans son pays et les règlements de leur mise en exécution. La réglementation ne diffère pas tellement de celle qui existe en Algérie, sauf qu'en Egypte les marchés publics passent par le Parlement avant d'être exécutés. Pour Mokdad Kourougli, président de chambre au niveau du Conseil d'Etat, en dépit des dispositions qui définissent les passations de marchés publics, « l'administration continue à recourir à la formule du gré à gré, ce qui est une erreur monumentale qui souvent s'accompagne de litige ». Il a relevé les anomalies qui caractérisent souvent les marchés publics, comme par exemple la révision d'un prix ferme, le non-respect des modalités de publicité et des délais, la ségrégation entre les entreprises, etc. « C'est scandaleux que l'administration refuse d'engager un marché sous prétexte qu'elle n'a pas l'accord des autorités... », a-t-il déclaré. Le magistrat a rappelé une vérité que tout le monde connaît et qui a fait rire l'assistance, à savoir « la révision systématique des prix avec des avenants souvent plus élevés que le montant du marché ». Un dysfonctionnement qui, selon M. Kourougli, démontre « la volonté manifeste de l'administration et des entreprises de ne pas réaliser le contrat ». Le magistrat a également parlé d'une administration qui agit souvent dans l'urgence, ou encore engage un marché sur la base de décisions verbales, créant des situations litigieuses dès lors qu'il faudra honorer les prestations. « Nous sommes souvent devant des violations des règles qui régissent les dépenses publiques qui, faut-il le rappeler, sont presque les mêmes dans tous les pays du monde. » Un débat riche en questions Commissaire d'Etat adjoint, Moussa Boussouf a plutôt axé sa communication sur la responsabilité de l'administration du fait de la législation et du judiciaire. « L'administration est responsable pour les préjudices causés par les lois et les décisions des juridictions. L'Etat est responsable administrativement du fait de l'activité de ses gestionnaires, qu'ils soient du domaine législatif, exécutif ou judiciaire », expliquant également que la responsabilité de l'Etat est également engagée dans le « dysfonctionnement » de la justice. Aïssa Boussouf a affirmé que l'administration a été à plusieurs reprises condamnée pour refus d'appliquer les décisions de justice. « Mieux, actuellement il y a un projet d'amendement du code de procédure civile et administrative afin de permettre la mise en cause de la responsabilité de l'Etat dans l'inexécution des décisions de justice. » Le conférencier a noté que la tendance est de ne plus tenir compte de la faute personnelle des responsables de l'administration publique, mais plutôt de la faute professionnelle, citant à titre d'exemple le domaine médical. Le débat qui a ponctué les communications a été riche en questions liées notamment aux lectures des textes du code des marchés. M. Kourougli a indiqué en outre que les pouvoirs publics sont sur le point de préparer un amendement du code des marchés pour permettre l'introduction d'une mesure préventive contre les litiges. Il s'agit d'accorder aux entreprises le droit d'introduire un référé précontractuel pour faire annuler un marché dans le cas où il serait soupçonné d'irrégularité. « Une clause non prévue actuellement par la loi et qui prévient aussi contre la corruption. » Les magistrats se sont accordés à dire qu'en dehors des cas prévus par un texte de loi, à savoir les directions des postes et télécommunications, de culture, de l'éducation, de l'environnement ainsi que les walis, les autres administrations ne peuvent être poursuivies en justice en qualité de représentants de l'Etat. « De nombreuses décisions allant dans ce sens ont ont été rendues par le Conseil de l'Etat », a rappelé M. Kourougli. Abordant la question de l'enrichissement sans cause, ce magistrat a cité un cas que le conseil a eu à trancher. Il s'agit de la direction des P et T de Skikda qui a refusé de payer une entreprise qui lui a réalisé des châssis en béton pour l'installation de cabines téléphoniques sans bons de commande. « Il y a eu réalisation des travaux ayant causé un préjudice. Nous avons jugé que la direction se devait d'honorer cette prestation. Nous avons eu aussi le cas d'une APC qui a refusé de s'acquitter d'une facture d'achat de fournitures de bureau. Le fournisseur a saisi la chambre administrative qui s'est déclarée incompétente. Il s'est adressé au tribunal commercial, ce dernier s'est également déclaré incompétent. Le Conseil d'Etat a renvoyé l'affaire devant la chambre administrative parce que tout simplement l'APC n'est pas une entreprise commerciale. Elle gère les dépenses publiques, une activité dont les contentieux relèvent du droit administratif. » Un intervenant a déclaré que, dans les pays du tiers monde, les représentants de l'Etat, comme par exemple le ministre de l'Intérieur, « sont divinisés au point où la décision d'exécution de la sentence de justice est déposée sur le bureau de sa secrétaire ».