Le tribunal correctionnel de Blida a rendu hier son verdict dans l'un des procès opposant Laïd Berradi, un richissime commerçant, très connu sur la place de Koléa, à un citoyen pour un chèque sans provision de 58,5 millions de dinars. Le tribunal a condamné Berradi à 2 ans de prison ferme et au paiement à l'Etat du montant du chèque. Cette somme avait été honorée par Berradi, il y a quelques jours seulement, après avoir déposé plainte contre le plaignant pour vol de chèque et vérification de signature. La même action avait été intentée contre un autre citoyen, après que ce dernier eut intenté un procès avec citation directe (2 janvier 2005) pour un chèque sans provision d'un montant de 60 millions de dinars. Les deux actions ont été engagées par Berradi auprès du tribunal de Koléa, où il bénéficiait de l'appui de la majorité des magistrats de cette juridiction. Berradi est également cité à comparaître le 26 juillet devant le tribunal de Blida, pour le deuxième chèque sans provision d'un montant de 60 millions de dinars, renvoyée le 26 juin dernier du fait de l'absence de la victime. Ce richissime commerçant était sous contrôle judiciaire, lorsque les éléments de l'Office national de la répression du banditisme (ONRB) l'ont arrêté à Alger, dans son salon de thé situé à Hydra. Cette arrestation est intervenue à la suite d'une enquête sur une affaire « de transferts illicites de fonds vers un pays étranger, de blanchiment d'argent, de trafic d'influence et d'escroquerie », a déclaré l'officier de police chargé du dossier, lors d'une conférence de presse tenue à Alger trois jours seulement après le coup de filet. Le conférencier a déclaré que ses services ont levé le voile sur « une véritable organisation mafieuse » spécialisée dans « le faux et l'escroquerie ». De nombreuses personnes, qui jouaient le rôle de prête-nom de Laïd Berradi, ont été également arrêtées dans le cadre de cette enquête. Pour ceux qui connaissaient Laïd Berradi, son arrestation a fait tache d'huile. Elle a mis à nu les protections dont il bénéficiait, notamment dans le milieu de la police et de la justice. Pas moins de quatre magistrats du tribunal de Koléa, dont le procureur, le président du tribunal et deux juges d'instruction, ont été suspendus ou mutés par mesure disciplinaire, alors que la liste des sanctions reste encore ouverte, selon des sources judiciaires. Les relations qu'entretenaient Berradi avec des magistrats de ce tribunal lui ont permis non seulement d'étouffer des plaintes déposées à son encontre, mais de transformer les victimes en prévenus. L'affaire du chèque sans provision d'un montant de 60 millions de dinars, en instruction depuis le 8 janvier 2005, est révélatrice de cet état de fait. Jugeons-en. Berradi avait remis un chèque sans provision, d'un montant de 60 millions de dinars, à un commerçant. Celui-ci a déposé plainte avec citation directe au niveau du tribunal de Koléa, le 2 janvier 2004. Le même jour, Berradi s'est présenté au commissariat de la même ville pour déclarer la perte « d'un carnet de 25 chèques, dont un sous le numéro 864758 daté du 9 décembre 2004 et prêt à être encaissé » - le chèque sans provision portait ce numéro. Deux jours plus tard, Berradi est revenu au commissariat et, avec lui, un de ses anciens ouvriers, Abdellah Fersaoui, un chômeur de 43 ans Devant les officiers de police, ce dernier a déclaré qu'il était l'auteur du vol des chèques, « dont quatre vendus au commerçant ». Pendant toute la période de la garde à vue, Fersaoui recevait quotidiennement la visite de Berradi dans les geôles du commissariat, lui apportant des cigarettes et de la nourriture. Mais pris de remords, Fersaoui a fait appel à l'officier de la police judiciaire de permanence pour lui faire part de la vérité. Il a jeté un véritable pavé dans la mare en déclarant que Berradi lui a promis 500 000 DA, un logement et la prise en charge des frais de son mariage en contrepartie de ses aveux. Ces déclarations ont été consignées par l'officier de police dans un procès- verbal remis au procureur du tribunal de Koléa, le 8 janvier 2005. Sur cette base, le magistrat a retenu « outrage à institution de l'Etat en témoignant sur un crime non commis, condamnés par les articles 144 et 145 du code pénal ». Après avoir inculpé Abdellah Fersaoui et Laïd Berradi, le procureur a transmis le dossier au juge d'instruction, en lui demandant de mettre les deux mis en cause sous contrôle judiciaire. Le tribunal a refusé à la victime de se constituer partie civile dans cette affaire. Ce qui est resté inexplicable. Le 26 février, les deux mis en cause sont entendus par le juge d'instruction. Fersaoui a maintenu ses propos, alors que Berradi n'a pas reconnu les faits. Le commerçant s'est vu alors obligé de saisir la chancellerie pour dénoncer ce qu'il a qualifié de « volonté délibérée du juge d'instruction et du procureur de protéger Berradi à travers le retard enregistré dans cette affaire ». De son côté, Fersaoui a commencé à recevoir des menaces. Pour se protéger, il a enregistré ses aveux sur une cassette vidéo qu'il a distribuée à ses proches. Pendant ce temps, les services de police ont poursuivi leur enquête sur cet autre scandale lié « aux transferts illicites, blanchiment d'argent et trafic d'influence ». Quatre jours après l'arrestation de Berradi, une véritable panique s'est emparée des gros bonnets des milieux mafieux de l'argent sale à Koléa et à Alger. Berradi, pour se protéger, n'a pas hésité à donner des informations importantes relatives à ses protecteurs nichés dans les administrations et institutions de l'Etat, notamment la justice. L'instruction n'a toujours pas été clôturée et le procès pour ces griefs risque d'être encore très lointain.