Tayeb Salih (le plus grand des écrivains soudanais contemporains) vit, depuis quarante ans, en exil à Londres. Il ne peut rentrer au Soudan ravagé par les guerres fratricides que les dictateurs de paille ravivent au nom d'un islamisme moyenâgeux sentant le racisme, l'ethnocentrisme et l'exclusion religieuse. Dans son best-seller Saison d'émigration vers le nord traduit dans 20 langues, le Nil (le plus long fleuve du monde) légendaire, bienfaiteur des peuples de l'Ethiopie, du Soudan et de l'Egypte, est élevé au sommet du symbolisme, voire du surréalisme. Tour à tour, les héros de Tayeb Salih se baignent, jouent et se... suicident dans ses eaux, tantôt limpides, tantôt tumultueuses ou boueuses (notamment en période de crue). Les eaux du Nil scintillantes sous le soleil ardent des étés sahariens, houleuses pendant les hivers aux nuits de froid polaire, fertilisant les terres, nourrissant des millions d'hommes, sont sacralisées par Tayeb Salih dans toutes ses œuvres : Le Palmier nain de Oued Hamed, Les Noces de Zine, Bendarchah, Lumière de nuit, etc. Pourquoi Tayeb Salih est si fasciné par le Nil ? Veut-il dire aux dictateurs dévastateurs, prédateurs et criminels, qui ont appauvri le Soudan et son peuple, qu'ils sont aveugles, ignorants, égoïstes et sales parce qu'ils ne respectent pas ce don du ciel, ce Nil si bleu et fertilisant, parce qu'ils ne se sont jamais baignés dans ses eaux limpides et enchanteresses. Après s'être tu plus de 30 ans (par tristesse ou désespoir ?), revoilà Tayeb Salih. Il vient de publier un roman magnifique : Mensi, un homme rare à sa manière. Dans ce roman, Tayeb Salih raconte la vie extraordinaire d'un homme hors du commun qui a traversé, comme un météore phosphorescent, les mondes chrétien, musulman, boudhiste, occidental, communiste et athée, tout en embrassant deux religions (chrétien puis converti à l'Islam). Encore une fois, Tayeb Salih veut, peut-être, dire aux dictateurs dévastateurs de son riche pays qu'on peut vivre au Soudan tout en étant chrétien, musulman, païen ou athée. Déjà compté parmi les plus grands écrivains du XXe siècle, Tayeb Salih vient de démontrer par ce roman magistral qu'il sera certainement parmi les grands du XXIe siècle, Mensi, un homme rare à sa manière n'étant que le 1er tome (d'après l'éditeur) d'une série de romans, de souvenirs et de mémoires. Lire Tayeb Salih est un plaisir, le rencontrer est un grand plaisir. Toujours souriant, les meilleurs blagues du monde au bout des lèvres... Et pourtant ses livres sont de véritables tragédies. Tragédies que ne peut égaler que la souffrance de son peuple.