De quoi est illustratif l'échec à l'examen de 6e de 16 écoles primaires en milieu rural à Mascara ? Localement, selon deux parlementaires, il s'agirait de dysfonctionnements qui affecteraient l'institution scolaire pour mauvaise gestion, ce qui les a amenés à demander au chef du gouvernement de diligenter une commission d'enquête nationale dans leur wilaya. Ne s'agirait-il pas plus exactement de celui d'une école à deux vitesses, celle en milieu urbain, celle des douars et au final de la partie visible de l'échec d'un système scolaire maintenu à l'agonie plutôt que revivifié par une salvatrice réforme ? C'est avec ces interrogations et d'autres encore que nous avons pris le chemin de la ville de l'Emir Abdelkader, un symbole national, dont de multiples icônes ornent le site Internet de la direction de l'éducation de la wilaya. Les deux députés pétitionnaires sont injoignables car absents de la ville pour cause d'obligations parlementaires dans la capitale. Qu'à cela ne tienne. Leur déclaration rendue publique est assez explicite. Elle énumère un certain nombre de griefs qui résument, selon leurs propos, l'affligeante situation prévalant au sein du secteur éducatif à Mascara. Cependant, elle n'appuie sa démonstration que sur deux anomalies, la première relative à la création de classes « uniques » en milieu rural, c'est-à-dire des classes regroupant chacune plusieurs niveaux, et la seconde a trait à l'année blanche subie par des écoliers de quelques établissements ruraux. Les deux élus mettent également en exergue un inacceptable aveu d'incapacité du directeur de l'éducation à mettre en place une solution adéquate contre nombre de pénalisantes situations sur la scolarité d'enfants vivant dans des zones défavorisées. A notre arrivée à Mascara, les choses avaient entre temps évolué, puisque depuis cette déclaration rendue publique le 5 juillet, la fédération de wilaya des parents d'élèves s'était adressée aux deux parlementaires sur les ondes de Radio Mascara pour les disqualifier et leur lancer le défi d'un débat public à travers la radio locale. Pis, le directeur de l'éducation, sollicité dans les colonnes d'un confrère, avait accusé les parlementaires d'avoir fomenté une basse vengeance en raison d'un service non rendu. Les mis en cause avaient alors répliqué par une autre déclaration déplorant une volonté de faire diversion de la part du DE, une diversion qui laisse sans réponse la question de fonds soulevée à leur initiative. Ahmed Hachemi, responsable du syndicat d'entreprise UGTA pour le secteur éducatif, est sur la même longueur d'onde que les parlementaires. Situation pédagogiquement inédite Il tire à boulets rouges sur le DE responsable à ses yeux de tous les maux. Il explique le massif échec scolaire en milieu rural par l'absence d'un encadrement qualifié en cette zone comme par l'absence de stabilité des enseignants qui y exercent. « On y exerce une année ou deux, parfois bien moins, et puis on s'en va ailleurs, pour la ville de préférence ». De la sorte, ce sont des contractuels sans formation pédagogique et parfois sans formation académique dans la discipline enseignée comme pour le français. « Ces enseignants d'infortune et en somme des bouche-trous, par exemple des ingénieurs en électrotechnique ou en hydraulique en chômage qui ont fait leurs études dans cette langue sont les seuls à accepter d'y aller pour enseigner le français. » Du coup, il n'est pas étonnant que 90% des candidats à l'examen de 6e ont donné « directeure » pour féminin de « directeur » au lieu de directrice ! Ce qui est révoltant dans l'affaire, c'est lorsqu'il a été obtenu de la wilaya des postes à pourvoir, ces derniers ont été transformés en postes « benaâmistes », c'est-à-dire qu'ils ont servi à fournir des emplois à des pistonnés qui plus est en ville, là où on n'en a pas besoin. En deuxième lieu, dans nombre d'écoles rurales à effectif squelettique, les classes sont uniques, c'est-à-dire qu'elles regroupent plusieurs cours sous la responsabilité d'un enseignant non formé pour cela et qui se trouve en outre être le directeur de l'école Comment un fonctionnaire livré à lui-même peut-il gérer une situation pédagogiquement aussi inédite ? Par ailleurs, savez-vous que les chefs d'établissement sont astreints de ramener leur courrier et de le déposer en main propre au DE ? Savez-vous que cette année, la gestion du manuel scolaire a monopolisé tout le temps des chefs d'établissement ? Savez-vous encore que le suivi pédagogique et le contrôle en milieu rural par les inspecteurs ne sont pas assurés, et lorsqu'ils le sont, ils sont bâclés. Et qu'il n'existe qu'un inspecteur de français dans l'enseignement moyen pour toute la wilaya ? Savez-vous enfin que la ségrégation existe entre établissements des villes et ceux des douars. Pour ne citer qu'un exemple : ceux des douars ne sont pas chauffés en hiver ? En définitive, les pouvoirs publics, de façon à encourager les familles qui ont fui le terrorisme à revenir dans leurs douars, ont rouvert de nouveau des écoles, mais sans se soucier de la qualité de la scolarité des enfants qu'elles accueillaient. On a ainsi initié une politique mais sans disposer ou sans se donner les moyens de la réussir. Poursuivant son réquisitoire, le syndicaliste s'en prend aux associations des parents d'élèves (APE) installées surtout en milieu urbain. « Elles ne jouent pas leur rôle. Ainsi 90% des conseils de classe se sont tenus sans la présence du représentant des parents d'élèves. L'APE n'est là que pour fournir des sous à l'organisation des fêtes de fin d'année. Et puis, leurs responsables n'y sont que pour acquérir un statut de notables, puisque certains n'ont même pas d'enfants scolarisés ». Globalement, Hachemi Ahmed met en question un système scolaire en déconfiture : « Ecoutez, je viens à l'instant de recevoir un collègue du secondaire en sciences. Il se plaignait qu'à la rentrée, il allait y avoir du changement dans les programmes d'enseignement, mais qu'il n'allait être au courant de ce qu'il en est qu'à la rentrée scolaire. Va-t-il y avoir de petits changements sans conséquence, ce qui n'aurait pas de sens, ou un vrai changement qui implique pour l'enseignant de s'y préparer ? » S'adressant à diverses autres sources, nous apprenons que par effet du terrorisme et de l'exode, il existe jusqu'à l'heure actuelle 23 écoles toujours fermées sur les 410 que compte Mascara. Cependant, on prend soin de préciser qu'avant le terrorisme, nombre d'écoles avaient été édifiées pour des considérations politiques, c'est-à-dire sans obéir aux besoins d'une carte scolaire, mais juste pour gagner des voix aux élections. Déperdition scolaire en zone rurale On s'est retrouvé, comme partout ailleurs en Algérie profonde, avec des écoles à effectif réduit, ce qui imposait une gestion pédagogique et administrative des plus aléatoires. A cet égard, Ahmed Benaoum, le doyen des journalistes à Mascara, relève qu'en milieu rural, il y a des chefs d'établissement et des enseignants qui refusent d'y habiter malgré la disponibilité du logement de fonction. Cela n'est pas sans conséquences sur la disponibilité et le rendement d'un encadrement pour la vie et le travail en milieu rural. « Pis, il est de notoriété publique que bon nombre d'enseignants ou de chefs d'établissement en zone rurale s'adonnent à d'autres activités lucratives, tel l'élevage, le ‘'tbezniss'' ou le transport clandestin. » Mais Ahmed est plutôt en colère contre les élus locaux, ceux de l'APW, pour leur désintérêt malgré les signaux d'alerte émis par la presse sur la situation de l'enseignement en milieu rural. « Bien que tous les confrères soient émus en ayant découvert fortuitement, en mai dernier, à Tighenif, 5 classes restées sans enseignants, il n'y a pas eu de réaction salutaire de leur part. » Notre confrère d'El Djoumhouria se désole que les élus locaux demeurent prisonniers de luttes intestines pour le leadership, paralysant ainsi l'APW et privant la population de sa contribution. Auprès de la fédération des parents d'élèves, c'est un tout autre son de cloche. Ahmed Boumediene fustige les parlementaires pétitionnaires pour leur opportunisme politicien et pour leur absence remarquée sur le terrain des réalités de l'école. A cet égard, il aurait souhaité les voir s'impliquer aux côtés de sa fédération lors de diverses opérations mises en chantier localement, tel le projet de lunetterie en vue de corriger la myopie chez tous les écoliers et d'éradiquer ses néfastes conséquences sur la scolarité des enfants. Le président de la fédération estime que les députés auraient dû s'inquiéter de problèmes plus cruciaux, telle la déperdition scolaire plutôt que des seuls résultats de l'examen de 6e beaucoup plus médiatiques. Le DE, qui nous reçoit, affiche une parfaite sérénité grâce à un argument qui lui semble imparable : « Savez-vous qu'une wilaya voisine a eu 31 écoles recalées à l'examen de 6e, une autre à l'extrême ouest en a enregistré 40 ! Le ciel nous est tombé sur la tête, sachant que sur nos 16 établissements 12 n'avaient qu'entre 1 à 7 candidats à l'examen de 6e ! » Alors, serait-ce en définitif une blague mascaréenne ? Pour notre confrère Benaoum, mascaréen de souche et instituteur au tout début de sa vie active, s'agissant de l'échec scolaire, cela ne pourrait être un sujet de plaisanterie. En effet, pour d'aucuns, un enfant qui échoue sur 1000 est toujours un cas d'échec de trop. C'est dire s'il est difficile de suivre le DE dans une logique qui n'est pas étrangère au cynisme avec lequel est géré le système éducatif algérien. Ainsi, en relançant le DE sur la situation des écoles rurales, il confirme qu'il est sans moyens pour y remédier : rien pour obliger les directeurs et les enseignants à résider dans leur lieu d'exercice, rien pour imposer aux bons enseignants d'aller au douar. « Il faudrait peut-être imaginer des mesures incitatives qui ne soient pas de mon ressort. » Mais au fait, qu'a recommandé la CNRSE en la matière ? Qui le saurait, puisque son rapport est à ce jour tenu secret tout comme le contenu de la réforme scolaire en cours, une réforme dont les contours sont livrés épisodiquement comme si cela ne concernait que ceux qui en décident unilatéralement.