Nous allons maintenant sortir et marcher vers la Présidence de la République. Dans le calme. Lorsque vous vous retrouvez face-à-face avec les brigadiers antiémeute, mettez-vous à terre et méfiez-vous des provocations », ordonne Ali Laskri, premier secrétaire du FFS, à la foule. Le secrétariat national a décidé de porter la protestation dans la rue pour « dénoncer le coup de force politique contre le FFS, la Kabylie et l'Algérie », précise-t-il. Karim Tabbou reprend la parole pour clore le meeting d'une vingtaine de minutes dans la cour du siège national du parti, situé à la rue Souidani Boudjemaâ, sur les hauteurs d'Alger. Aujourd'hui, nous allons lever le régime des territoires occupés à la capitale », lâche-t-il au-dessous d'un morceau de drap, accroché à un mur datant de l'époque coloniale, sur lequel des gros caractères en bleu indiquent : « M. Ouyahia, vous avez les lois, les archs et la rente. Nous avons l'honneur et la conviction ». Les quelque 800 élus, venus des quatre coins du pays, les secrétaires nationaux, des membres du conseil national, des responsables au niveau de certaines fédérations et des militants convaincus sortent pour battre le pavé jusqu'au Palais d'El Mouradia, se trouvant à moins de trois kilomètres du point de départ. Deux carrés se sont constitués. Au premier rang, les membres de la direction nationale, suivis des élus. On peut remarquer Ali Laskri, Karim Tabbou, Djoudi Maâmeri, Karim Baloul, Ahmed Bettache, Djamel Behloul et Kamel Eddine Fekhar. Les marcheurs brandissent des banderoles et des pancartes qui arborent certaines idées hostiles aux tenants du Pouvoir. Comme, par exemple, « De Oujda à El Mouradia, combien de crimes orchestrés ? », « Ouyahia et Bouteflika : deux dangers pour l'unité nationale », « La police politique prend sa revanche sur Abane et Aït Ahmed », ou encore « M. Bouteflika, ayez un peu de décence ». D'autres banderoles portent des slogans contre la décision de dissolution des Assemblées locales de Kabylie, approuvée dimanche 24 juillet en Conseil des ministres. Entre autres, « Non à la dislocation politique, économique et sociale de la Kabylie et de l'Algérie », « La dissolution des APC et des APW est un véritable apartheid politique », « Une nouvelle agression du groupe de Oujda contre la Wilaya III », « Un conseil de voyous, un dialogue de délinquants pour une issue maffieuse »... Au sortir du portail du siège national, trois agents de l'ordre public, pris de panique en constatant la foule qui commence à sortir dans la rue, vérifient la destination retenue, communiquent quelques mots inaudibles à travers un talkie-walkie, montent dans leur véhicule et démarrent en trombe. Il est 11h25. Les manifestants - près d'un millier, selon les services de sécurité, un peu plus, selon les organisateurs - descendent vers l'avenue Pékin qui mène vers la Présidence de la République. Ils bloquent la circulation et marchent des centaines de mètres en scandant des slogans critiques, parfois acrimonieux, envers le chef du gouvernement, le président de la République, les généraux et les archs. Ils manifestent une profonde colère contenue, cahin-caha, dans un esprit de pacifisme recommandé par la direction. Les riverains sortent pour satisfaire leur curiosité en suivant de loin l'événement. Les commentaires se suivent et s'enchaînent au point qu'un faux débat entre les pour et les contre est « né » aux alentours de la manif... Les marcheurs, poussant un cordon fragile de policiers, poursuivent leur chemin. Dès qu'ils entament l'avenue de Pékin, le premier renfort d'une trentaine de policiers antiémeute atterrit et bloque la route en dressant un bouclier d'hommes en uniforme bleu, tête enfoncée dans des casques, matraque bien « huilée » dans la main. Des voix émanant du premier rang invitent les manifestants à s'asseoir à terre pour éviter l'affrontement. Tout le monde à terre. D'autres renforts en brigadiers antiémeute arrivent et envahissent les lieux. Plus de voitures qui roulent. Les services de sécurité bouchent l'avenue, encerclent le lieu et cantonnent les manifestants dans un carré resserré. Au fil du temps, le nombre de policiers grandit. Et les agents en uniforme bleu ainsi qu'en civil deviennent presque plus nombreux que les marcheurs. Ceux-ci, assis sous un soleil de plomb, continuent à scander des slogans rythmés tel « Généraux assassins », « Bâou lâalam (ils ont vendu le drapeau) », « On demande une enquête internationale », « Pas d'amnistie sans la vérité », « Mazalna mouaâridine (nous sommes toujours des opposants) »... Des intervenants se succèdent, notamment Tabbou, Laskri et Fekhar, pour dénoncer, entre autres, « l'entreprise raciste et régionaliste du Pouvoir et de ses relais en Kabylie » et « le ciblage du FFS ». Le sit-in prend fin après plus d'une heure. « Vous allez avoir beaucoup de travail parce que nous sommes déterminés à aller jusqu'au bout de notre combat pacifique pour la démocratie », lance M. Tabbou à l'adresse des services de sécurité dépêchés sur place. Les manifestants regagnent ensuite le siège du parti sans incident. Les organisateurs se félicitent d'avoir réussi, tant bien que mal, leur coup, après plus de quatre ans d'interdiction de marche à Alger, soit depuis la fameuse marche du 14 juin 2001, soldée par la mort de six personnes, dont deux jeunes journalistes. La fermeture des rues de la capitale aux marches est toujours en vigueur. Autant que l'état d'urgence. O.