Pressées de quitter l'Irak, les troupes américaines y demeureront encore bien longtemps.Telle est l'évaluation faite par le ministère américain de la Défense dans sa récente évaluation de la situation dans ce pays. Celle-ci correspond en tous points à ce qui se dit. C'est-à-dire qu'elle échappe à tout contrôle, et même le périmètre supposé sécurisé présente lui aussi des risques. Comme cette fameuse zone verte. Ou encore comme l'a prouvé l'assassinat, récemment, de trois membres sunnites du comité de rédaction de la future Constitution, dans des circonstances particulièrement troubles, puisque ces personnes ont été identifiées, localisées et tuées. Conséquence également de la dissolution de l'armée irakienne, « aucune force (de sécurité irakienne) n'est prête à mener, seule, des opérations » de maintien de l'ordre, a reconnu un général américain. Une réduction de la présence militaire américaine (138 000 soldats) dépend de l'aptitude des forces irakiennes de sécurité à être indépendantes. Le Pentagone a présenté jeudi au Congrès son évaluation trimestrielle de la situation en Irak, sans donner publiquement d'indications sur l'échéance à laquelle une relève des militaires américains pourrait être assurée par les forces irakiennes. Cette liste, qui porte aussi sur l'aptitude de l'armée et de la police irakiennes, est confidentielle, mais un responsable, le général Walter Sharp, a reconnu que seul un petit nombre d'unités irakiennes était en mesure d'agir de manière indépendante des forces américaines. « Deux tiers des bataillons de l'armée et la moitié des bataillons de la police sont partiellement en mesure de mener des opérations contre les insurgés, en coordination avec des unités de la coalition », a-t-il dit. Le rapport du Pentagone, intitulé « Evaluation de la stabilité et de la sécurité en Irak », reste très vague sur les capacités irakiennes. Des parlementaires démocrates ont dénoncé ce flou, « cette fumée et ces miroirs » qui laissent sur leur faim les Américains, selon les termes du sénateur Harry Reid. Ce dernier a réclamé une « stratégie claire de succès » de l'administration républicaine de George W. Bush. Pour la représentante Nancy Pelosi, l'affirmation, selon laquelle la formation des Irakiens se déroule bien, « est fausse » au vu des chiffres communiqués par le Pentagone. Le Congrès exige que le Pentagone lui remette une évaluation de la situation en Irak tous les trois mois. L'état des forces de sécurité irakiennes (171 300 individus) est mitigé, à en croire le rapport. L'aptitude du corps des officiers et de la chaîne de commandement des militaires et policiers irakiens varie selon les provinces et dépend du degré d'expérience des cadres dirigeants. Les seules unités jugées très efficaces sont la brigade responsable des opérations spéciales et le commando des forces spéciales de la police. La police des frontières est bien moins considérée. Sa chaîne de commandement et son encadrement sont jugés moyens, voire médiocres. Et pour calmer ou aller au-devant de certaines revendications aux Etats-Unis mêmes, Américains et Irakiens ont mis en place un comité mixte, chargé de définir les critères selon lesquels les troupes américaines pourront remettre aux forces irakiennes la responsabilité de la sécurité en Irak, a indiqué hier l'ambassade américaine. Toutefois, l'ambassadeur américain Zalmay Khalilzad a précisé que « ce groupe de travail n'est pas chargé de fixer un calendrier, mais d'identifier des conditions, qui seront ensuite conjointement validées par le gouvernement irakien et la force multinationale », a-t-il ajouté. Et là, on est tout simplement loin du compte. Et même très loin au regard de l'évaluation du Pentagone, et des lacunes qui rendent aléatoires et même dérisoires toutes les mesures de sécurité. Très visiblement, le Congrès apparaît comme l'expression d'un sentiment aujourd'hui majoritaire aux Etats-Unis, comme l'a révélé un sondage réalisé au début du mois de juillet. Aussi apprend-on, et pour la première fois, une majorité d'Américains considère que cette guerre ne devait pas être menée. Pour la première fois, depuis le début de cette guerre, plus de 50% des Américains pensent que celle-ci est une erreur. Plus que cela, le président Bush a réalisé, à la même période, sa plus faible audience depuis son élection à la présidence des Etats-Unis. Son discours du mardi 28 juin, à l'occasion du premier anniversaire du transfert de souveraineté aux Irakiens, n'a été suivi que par 13% des spectateurs. Au plan des chiffres encore, la cote de popularité du Président s'érode au point de chuter. Un bien terrible revers pour un homme réélu pourtant avec une confortable avance au début de cette année. Et la question est revenue avec insistance puisque, transfert ou pas, les soldats américains meurent encore en Irak, avec en moyenne deux par jour. Et dire aussi que l'armée américaine n'arrive pas à recruter. Et Donald Rumsfeld, le ministre de la Défense, ne cache plus que cette guerre peut encore durer des années. En ce début d'été, alors qu'apparaissaient d'autres questions comme deux cas de vache folle ou l'augmentation des prix des carburants, ou encore l'intention d'un groupe chinois d'acheter la compagnie pétrolière américaine UNOCAL, le débat n'était pas de trop. Et les Américains étaient même appelés à dire s'il fallait encore envoyer au combat des femmes soldats. Pendant ce temps, la presse faisait état de contacts avec les opposants armés. Mince espoir de règlement, et qui dit solution pense automatiquement au retrait des troupes étrangères et donc américaines. Mais les nouveaux dirigeants irakiens eux-mêmes refusent de fixer la moindre échéance, un refus révélateur de la situation. Un mot en guise d'état des lieux. Pas besoin de se lancer dans une description fastidieuse. Tout est là.