Mezouar Ali est un Témouchentois féru de chi'r el melhoun. Les exercices de mémoire sur le patrimoine sont sa passion. Comme par exemple sur les origines d'un refrain que presqu'aucun Algérien ne méconnaît. Il s'agit de S'hab el baroud, une ritournelle reprise dans la festive. S'hab el baroud a été chantée par Blaoui Houari puis par Khaled avec le succès que l'on sait. Ali, la quarantaine, tête d'intello, sourire malicieux et yeux pétillants, veut rendre à César ce qui lui appartient. « S'hab el baroud est de Henani Houari. Cependant, le mérite de cet homme, né en 1908 et mort à l'âge de 40 ans, est plus grand que cela. » En effet, rappelle notre interlocuteur, S'hab el baroud bel carabila est un refrain qui scande une protest song qu'il composa et chanta la veille de la célébration du centenaire de la colonisation pour la dénoncer, ce qui lui a immédiatement valu la prison. Il connaîtra d'ailleurs de nombreux séjours carcéraux, dont ses séditieux poèmes témoignent. « Hanani, qui ne jouait d'aucun instrument, n'était pas un chanteur professionnel. Il chantait bénévolement à la demande du public. Et malgré son diplôme de certificat d'études primaires qui pouvait en faire un col blanc, Houari était ouvrier polyvalent dans les abattoirs d'Oran. » Pour ce qui est de S'hab el baroud, Mezouar remarque, contrairement à la tradition du chi'r el melhoun, Hanani signe dès l'exergue sa chanson. Il ne le fait cependant pas pour la postérité, puisqu'il n'y ajoute pas un deuxième élément qu'est la datation. A cet égard, aucune de ses chansons ne comporte une date, à moins que celle-ci ne s'impose par le contenu du poème lui-même. Non, cela ne semble pas intéresser Houari le pamphlétaire de la chanson populaire. Ali Mezouar rappelle que seulement 14 poèmes de Hanani ont pu être préservés par le biais de la transmission orale. « Des huit poèmes auxquels j'ai eu accès, sept sont d'essence patriotique. Houari y dit sans détour sa haine du système colonial et y clame son aspiration à la liberté. » Il stipendiait avec les mots les plus durs les collaborateurs des oppresseurs, les biya'a. Quant aux révoltés, ceux qui passent à l'acte de résistance, ils sont ses héros. Ainsi Youssef Moul El Bala (Youssef, l'homme à la pelle) fait le sujet d'une chanson. Ce Youssef, un Témouchentois de Chabat El Laham, avait tué d'un coup de pelle son tourmenteur de colon. Il trouva refuge à Oran chez Hanani. Pour revenir à S'hab el baroud, Hanani déclare dès l'entame que ses vers ne sont pas composés à la gloire du centenaire de la colonisation qui allait commencer le lendemain. Puis, cette entrée en matière faite, elle est scandée par un S'hab el baroud bel carabila qui revient tout au long de la chanson. Et, au titre de ces baroudeurs qu'il vante, il cite Ibn Mahieddine, en l'occurrence l'Emir Abdelkader. « Enfin, en visionnaire, il poursuit plus loin annonçant, 24 ans plus tôt, un combat libérateur qui allait être mené par des hommes surgis des montagnes d'Algérie. »