L'initiative du président de la République portant amnistie générale est différemment appréciée à Tizi Ouzou. De nombreuses personnes rencontrées dans la rue n'ont pas voulu se prononcer. « C'est de la poudre aux yeux, lui il fera ce qu'il veut, qu'on soit d'accord ou pas », nous a dit Rachid, un cadre travaillant au Sud, avant d'ajouter ironiquement : « Il aura ses 80% de oui sans souci. » Hamid, libraire à Tizi Ouzou, ne cache pas son refus de toute initiative visant à absoudre les terroristes de leurs crimes. « Je suis contre le fait d'amnistier des terroristes », nous a-t-il déclaré, avant de considérer qu'« il est inconcevable de pardonner à des violeurs et des assassins. Je n'ai pas été directement touché, mais j'imagine quelqu'un qui a perdu un être cher, une fille ou une femme violée par ces sanguinaires, comment voulez-vous que ces gens-là puissent pardonner un jour ». Après un moment de réflexion, il ajoute : « De toute façon, Bouteflika aura son amnistie, ils ont l'habitude de faire passer ce qu'ils veulent. Notre avis ne compte pas. Je ne voterai pas. » Mohand, cadre dans une entreprise publique, est plutôt favorable : « C'est une bonne chose. Ça permettra le retour à la stabilité, à la paix. Je crois que c'est une charte qui touche toutes les franges de la société touchées de près ou de loin par le terrorisme. » Cet avis est partagé par Ali qui estime que tout ce qui pourra ramener une paix durable est le bienvenu. « Je suis pour, l'essentiel est que cela ne se fasse pas aux dépens des patriotes, des hommes et des femmes qui ont combattu ces criminels. Espérons que ça permettra à certaines régions très touchées par ce phénomène de renouer avec la stabilité et le développement », nous dit Ali. Un sexagénaire, abordé à l'entrée d'un café, se montre d'abord étonné par notre question, puis, après un moment d'hésitation, dira : « Bouteflika peut amnistier qui il veut, mais il ne pourra jamais me rendre mon fils assassiné alors qu'il venait de terminer son service national. Au lieu d'exterminer ces sauvages, Bouteflika veut qu'on les accueille les bras ouverts ! Non jamais ! » D'autres encore ne comprennent pas pourquoi au moment où le monde entier se mobilise contre le terrorisme, Bouteflika veut lui pardonner. Interrogations En revanche, la rue à Béjaïa ne semble pas avoir encore bien absorbé le contenu du projet du Président Bouteflika. Les citoyens approchés, quand ils ont eu l'occasion de jeter un œil sur le contenu du discours présidentiel à travers la presse ou ayant plus au moins suivi l'intervention la veille à la télé, préfèrent globalement se réfugier dans la prudence, voire l'indifférence. La saison et l'environnement, voués aux entrefaites des vacances, sont également pour beaucoup dans la distance affichée. Rachid, enseignant, ne détache pas l'initiative du contexte politique national. Pour lui, l'œuvre, au demeurant « mise en branle par les soutiens du Président depuis plusieurs mois », fait-il remarquer, répond au souci de consolider les assises du pouvoir. Sur un autre plan, il remet sur le tapis une hantise commune à nombreux citoyens, celle de voir le projet bénéficier aux terroristes et à l'idéologie qui les a nourris au détriment du combat mené par le camp démocratique. Une position de principe est exprimée par un jeune libraire qui, lui, pense que toutes les initiatives sont bonnes, pourvue qu'elles versent dans la perspective de clore une fois pour toutes les années sanglantes du terrorisme. Notre interlocuteur avoue néanmoins ne pas avoir pris connaissance du contenu de la démarche, car ne s'intéressant pas à « la politique ». Mustapha, un militant proche du FFS, ne s'empêche pas de reparler de la dernière dissolution des Assemblées locales en Kabylie pour faire remarquer que, finalement, le calendrier politique national pouvait bien se passer d'une « nouvelle déstabilisation de la région » puisque ayant prévu d'autres priorités. Pour lui, la convocation du corps électoral pour la fin septembre prochain veut bien dire que les élections partielles programmées en Kabylie sont repoussées ou peut-être annulées. La plupart des gens approchés sur le sujet ont préféré donc s'abstenir de commentaires, car n'ayant tout simplement « rien à dire ». Certains avouent même avoir toujours cru que les « terroristes ont été déjà amnistiés ». La région, épargnée par les affres du terrorisme durant les années 1990 et ayant vécu au moins deux années surchargées en événements à partir de 2001, ne peut qu'entretenir une attitude de circonspection envers le projet, en attendant peut-être une probable reprise en main du sujet par les acteurs politiques. Mourad Hachid, Mourad Slimani