A égale distance de la mer et de la montagne - 20 km - et un peu plus du total des deux chiffres de la capitale Alger, Blida - ou El Bouleïda pour les intimes - se consume aux durs rayons du soleil et ne se réveille véritablement qu'à la disparition de l'astre auteur de l'immobilisme. Avenues Amara Youcef et Ben Boulaïd, boulevards Larbi Tebessi et Mohamed Boudiaf : deux verticales et deux horizontales par où tous les autochtones se doivent de passer afin de marquer leur présence. Pizzerias, marchands de glaces, terrasses de cafés ou simples petits espaces verts, tel celui de Bab Sebt, reçoivent leurs habitués et les grands éclats de rire où les reparties de haute voltige prouvent la suprématie de ces jeunes devant une chaleur disparue pour une nuit. Des émigrés évoquent leurs différentes manières de vivre el ghorba et plusieurs d'entre eux comparent leurs conditions et statuts selon le pays où ils se trouvent : France, Belgique, Italie, Angleterre, Allemagne, Canada. Les Blidéens restés à la maison n'ont plus de tour de parole et se font alors tout petits : sentinelles de la cité qui a traversé une période mouvementée avec les élucubrations de responsables voulant s'enrichir au plus vite et par n'importe quel moyen. La municipalité n'a pas pensé - ou n'en a pas eu le temps- à occuper les familles avec un ou des festivals et les sorties en famille sont l'exception. La cuvée estivale 2005 est ratée et l'amertume se devine derrière les sourires angéliques de tous ces jeunes, élèves et étudiants, qui n'ont que les mariages ou fiançailles comme raisons de sortir, d'exhiber des toilettes et/ou des muscles. La société masculine a le droit de veiller à l'extérieur, loin de la fournaise de chambres exiguës pour ceux qui ne disposent pas encore de ce fameux climatiseur brassant l'air au point de le rendre respirable. On ignore encore les retombées sur le plan de la santé et de la facture d'électricité. Certains poussent l'audace jusqu'à entamer quelques kilomètres en direction des hauteurs bienfaisantes de Chréa ou même Sidi El Kebir, d'autres vont du côté de Baba Moussa, mais ne s'y attardent pas ; sur la route de Médéa ou plutôt du Ruisseau des Singes, quelques jeunes reprennent l'équilibre avec les senteurs se dégageant des forêts de l'imposant Parc national de Chréa. Les bigaradiers du boulevard Laïchi Abdallah, prolongement de l'avenue Amara Youcef, enregistrent les confidences de tous ces jeunes agenouillés à leurs pieds, même les mendiantes accompagnées de leurs enfants dans la journée et sollicitant les passantes et passants. Le kiosque à musique du temps colonial et devenant au fil des décennies symbole de la ville demeure triste malgré les tentatives d'embellissement, et les Blidéens oublient jusqu'à la présence du palmier aux branches arquées. En levant la tête, de quelque endroit qu'on se tourne, on reste sidéré par le nombre de grillages mis aux fenêtres, la hauteur des murs de clôture et on se laisse aller au vertige né de l'imagination : cours fleuries, bassins d'eau claire, citronniers et orangers, jasmins et roses. C'est sans doute bien mieux qu'affronter une réalité amère avec toutes ces décharges sauvages ou improvisées au centre des principaux axes et imposant des interrogations sur l'absence ou la disparition d'un certain art de vivre propre aux enfants de Sidi El Kebir. Toutes les fontaines publiques arrachées, détruites, disparues avec certaines comme véritables œuvres d'art ont quelque peu participé à cette ambiance de saleté émanant des quartiers et que seule la saison des pluies vaincra. Cela n'empêche point une certaine cordialité dans le caquetage et le bavardage où les « hanouni » sont devenus légion.