Siège de SOS Disparus à Alger. Sous le regard des centaines de disparus dont les portraits tapissent les murs de la pièce, les représentants de SOS Disparus, de Somoud et de l'Association nationale des familles de disparus (ANFD) convergent vers le même constat : la « charte » proposée par le chef de l'Etat « consolide l'impunité et le déni de justice et de vérité ». « Avant la réconciliation, il aurait fallu déterminer les responsabilités des deux protagonistes du conflit : le régime et les groupes armés. Ces derniers ne sont pas innocents et l'Etat est responsable de la sécurité des citoyens d'un côté et, de l'autre, dans le cadre d'une politique de terreur, des membres des forces de sécurité ont enlevé des personnes soupçonnées de soutenir le parti dissous », explique l'avocat Amine Sidhoum aux journalistes (à noter la présence de l'ENTV) présents à la conférence de presse d'hier. Il s'oppose à la thèse de « l'acte isolé », portée par la « charte ». « Il est impossible qu'entre 7000 et 8000 disparitions eurent lieu à travers le pays sans que cela soit une politique planifiée. On se rappelle de la phrase de l'ancien chef du gouvernement Réda Malek : ‘'la peur doit changer de camp''. C'est là où les disparitions ont commencés », affirme-t-il. Ali Merabet de Somoud, l'association des familles de victimes enlevées par les groupes armés, ne trouve « ni souci de vérité ni de réparation » dans la « charte ». « Réconcilier qui avec qui ? », s'interroge-t-il avant d'avancer sa propre hypothèse : « Réconcilier le Pouvoir et les forces de sécurité, présumés coupables des 6146 disparitions reconnues officiellement, avec le partis dissous et les groupes armés, présumés coupables, car ils n'ont pas été jugés pour les 200 000 morts, les 10 000 enlèvements et les 3000 viols perpétrés. » « Ils (le Pouvoir) n'ont pas pensé à nos enfants ni aux leurs. Ce sont ces enfants qui vont être appelés, à l'avenir, à régler nos problèmes d'aujourd'hui », poursuit-il. « Nous sommes doublement victimes, parce qu'on a perdu un proche et parce qu'on nous prive de notre droit à la justice », a conclu Merabet qui s'interroge sur l'absence d'enquête sur les charniers découverts. Lila Ighil de l'ANFD brocarde, elle, la prévisible absence de débat autour de la « charte » qui, rappelons-le, n'a pas fait l'objet de consultation avec les victimes. « La paix est une question dont la réponse est évidente. Mais on doit débattre des moyens de la réaliser », lance-t-elle. « Quand nous souffrions de la guerre, eux étaient à l'étranger et maintenant, ils nous accusent d'être contre la paix. Parler des ennemis de l'Algérie et de la ‘'main étrangère'' est révolu », poursuit-elle. Elle exige un face-à-face télévisé avec des responsables des ministères de l'Intérieur ou de la Justice. « Je défie quiconque qui révèle au moins le nom d'un agent de l'Etat jugé pour avoir enlevé un citoyen. Au moins un ! », défie-t-elle. La « charte », proposée à référendum le 29 septembre prochain, stipule : « Le peuple algérien souverain rejette toute allégation visant à faire endosser par l'Etat la responsabilité d'un phénomène délibéré de disparition. Il considère que les actes répréhensibles d'agents de l'Etat, qui ont été sanctionnés par la justice chaque fois qu'ils ont été établis, ne sauraient servir de prétexte pour jeter le discrédit sur l'ensemble des forces de l'ordre. » « On sent comme une menace : gare à celui qui ose revendiquer vérité et justice après la date du 29 septembre ! », dit Ighil qui se demande d'où peuvent les victimes « puiser la force de pardonner ». Nacéra Dutour, de SOS Disparus, rappelle les « on ne peut faire d'omelette sans casser des œufs » de certains responsables algériens. L'omelette étant la guerre. Les œufs, des Algériens. « Je veux enfin retrouver mon fils et rentrer chez moi (...), alors que certains gagnent l'immunité diplomatique », lâche-t-elle. Emotion. « Pas d'élections libres, pas de campagne équitable en plus il nous menace. Et il veut faire porter le chapeau au peuple », renchérit Merabet. Les associations ont lancé une caravane contre l'impunité qui a entamé sa marche à Aokas, à Béjaïa, vendredi dernier. Elles devraient coordonner des actions avec d'autres associations et intensifier les contacts avec les ONG internationales. « On voulait une solution algérienne. Maintenant que tout est fermé, on est obligé d'aller revendiquer nos droits ailleurs, l'ONU, l'UE, les ONG... », confie Merabet.