Nous faisons front commun pour répondre à cette agression morale contre toutes les victimes de la décennie rouge », lance Chérifa Khedar de l'association des victimes civiles du terrorisme, Djazaïrouna, lors de la conférence de presse organisée, hier, au siège de SOS Disparus, à Alger, qui a regroupé les représentants des deux associations citées ainsi que le Collectif des familles de disparus en Algérie (CFDA), l'association des familles de kidnappés par les groupes armés, Somoud, la section centre de l'Organisation nationale des victimes du terrorisme et des ayants droit (ONAVDT) et l'Association nationale des familles de disparus (ANFD). Objet de la rencontre : affirmer la convergence du refus des associations de victimes suite à l'annonce, le 21 février dernier, par le gouvernement des décrets présidentiels relatifs à la charte pour la paix et la réconciliation. « C'est le retour à la dictature. On parlera. Aujourd'hui et demain. On est prêt à aller en prison. Qu'ils jugent les kidnappés ou qu'ils les libèrent. Les camps secrets de détention existent », intervient Hassan Ferhati, de SOS Disparus. « Est pénalisé et sanctionné toute déclaration, écrit ou autre acte, utilisant ou instrumentalisant les blessures de la tragédie nationale pour porter atteinte aux institutions, fragiliser l'Etat ou nuire à l'honorabilité de ses agents qui l'ont dignement servi, ou pour ternir l'image de l'Algérie sur le plan international », est-il mentionné dans le projet d'ordonnance présidentielle qui devrait être entériné en Conseil des ministres dans le courant de cette semaine. « Personne ne m'interdira de demander où se trouve mon fils, kidnappé à l'âge de 22 ans, et disparu depuis 8 ans », lâche Nacéra Dutour du CFDA. Derrière elle, une mère de disparu pleure. Les murs de la petite salle sont tapissés de photos de disparus : barbus, militaires, cadres, lycéens, etc. La plupart n'avaient pas, à l'époque de la disparition, 30 ans. Disparitions forcées qui ont connu un pic entre 1994 et 1996. « Ils matraquent les victimes en leur sommant de se taire. Nous n'avons pas été consultés. C'est une réconciliation verticale. Entre eux ! », indique Ali Merabet de Somoud qui se demande, concernant les extinctions de poursuites contre les auteurs de massacres collectifs, de viols et d'attentats à l'explosifs, quel est le terroriste qui va avouer qu'il a participé à l'une de ces trois catégories de crimes. Pour l'avocat Amine Sidhoum, « le conditionnement de l'indemnité avec la possession d'un jugement de décès pour les cas de disparition » constitue une « insulte aux familles ». « L'indemnisation est un droit reconnu par le code civil », poursuit-il, autant que « la poursuite pénale contre quiconque porte atteinte à une personne ou un bien, consacrée par la Constitution ». « Comment se fait-il que la réconciliation se fasse sur le dos des civils, qui ont été pris entre deux feux durant la décennie rouge ? », s'insurge Chérifa Khedar de Djazaïrouna, qui ajoute qu'une « paix durable n'est possible que si l'on écrivait l'histoire de cette décennie ». « Ce sont nos enfants qui devront gérer ce problème, car il n'a pas été réglé », résume Ali Merabet de Somoud. « En empêchant la vérité sur les crimes du passé d'éclater devant des tribunaux algériens, la loi d'amnistie stopperait toute chance de voir les notions de justice et de responsabilisation devenir des éléments de la transition vers la paix », avaient averti plusieurs ONG internationales avant même l'annonce officielle de la charte. Les représentants des organisations présentes, hier, ont décidé de lancer un appel pour être rejoints par le maximum d'acteurs de la société civile et du monde politique, de saisir le Conseil d'Etat pour examiner la constitutionnalité des décrets d'application et de saisir les instances internationales. « Il y a plus de clémence pour les terroristes que pour les journalistes. On a rusé contre le peuple et la loi », lance Helaymia Fatima de l'ONAVDT, qui se demande quelle place auront les proches des victimes du terrorisme, dont beaucoup reste sans indemnités en l'absence aussi de statut de victime. Des représentants du FFS, de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme (LADDH), de l'association B'net Nssoumer et du National democratic institut (NDI) américain étaient présents, hier, au siège de SOS Disparus. « Nous irons jusqu'au bout », concluent les représentants des associations des proches de victimes.