Plusieurs responsables de sociétés publiques ont été entendus la semaine dernière par le juge d'instruction chargé du dossier Khalifa, au niveau du tribunal de Sidi M'hamed, à Alger, a-t-on appris de source judiciaire. Pendant toute la journée du mardi dernier, le magistrat instructeur a interrogé au moins une dizaine (sur une trentaine) de patrons d'entreprises étatiques sur les avoirs placés au niveau de la banque de Abdelmoumène Khalifa, et dont une grande partie a été transférée vers l'étranger. Selon les mêmes sources, il est question de lever le voile sur les conditions dans lesquelles ces fonds ont été déposés à El Khalifa Bank en dépit du fait que les taux d'intérêt accordés par cette banque privée à ses clients dépassaient largement ceux pratiqués sur le marché financier. Ainsi, le juge d'instruction devra statuer si les gestionnaires ont une responsabilité pénale dans ces opérations de placement de deniers publics, sans prendre les mesures nécessaires pour se préserver d'une éventuelle escroquerie. Le juge d'instruction a été saisi par le liquidateur, M. Badsi, qui lui a transmis un dossier bien ficelé sur le fonctionnement de la banque. A ce sujet, il avait annoncé la couleur du scandale en affirmant publiquement : « Abdelmoumène remplissait les comptes en attirant les fonds par de forts taux d'intérêt compris entre 17% et 21% par rapport à ceux pratiqués - 5,4% et 7% - sur la place financière. Il a même proposé des taux de 24% pour des bons de caisse. Une partie de cet argent a été transférée vers l'étranger et a servi à l'acquisition de biens. Abdelmoumène a sali l'argent propre et non pas, comme disent certains, blanchi de l'argent sale. » Le juge aura à entendre au moins une cinquantaine de responsables de sociétés publiques, y compris des banques. Il est probable que des actes de « négligence complaisante » seront retenus contre de nombreux cadres, notamment au niveau de la Banque d'Algérie, et qui ont été entendus au même titre que les patrons des entreprises publiques par le magistrat instructeur. Ce dossier risque, selon nos sources, d'aller très loin dans la mesure où « c'est le chef du gouvernement qui en fait son affaire ». « Celui-ci veut à tout prix que l'affaire soit traitée en Algérie, et non en France, où deux tribunaux ont ouvert une information judiciaire pour blanchiment d'argent et corruption. » Ahmed Ouyahia avait affirmé, lors d'une conférence de presse animée il y a plus d'un mois, que les responsables des entreprises publiques qui ont pris la décision de placer les fonds de leur société à El Khalifa Bank, « en dépit des forts taux d'intérêt pratiqués par cette institution, seront comptables de leurs actes devant la justice ». Il avait estimé le préjudice causé par le groupe Khalifa au Trésor public à plus de 2 milliards de dollars américains. Une somme qui rejoint celle avancée par M. Badsi, il y a trois semaines, lorsqu'il est passé sur les plateaux de Canal Algérie. Des sources judiciaires ont indiqué que l'instruction sera très longue et durera certainement des années avant que toute la lumière ne soit faite sur ce que M. Badsi a qualifié de « cataclysme » financier. Ce dernier a expliqué, après treize mois d'investigation, que sa mission devrait être accomplie au bout de trois ans, « si on est performants », tout en n'écartant pas un délai de plus de cinq ans, si « on est moyennement actifs » et plus de huit ans, « si on traîne la patte ». D'après M. Badsi, il est question de passer au peigne fin tous les comptes, d'analyser 20 millions de transactions depuis la création d'El Khalifa Bank en juillet 1998 et de les corroborer. « Nous voulons déterminer avec exactitude la situation réelle d'actifs constatée et qui avoisine les 166 milliards de dinars, avec une possibilité d'atteindre à la fin du processus de contrôle la somme de 220 milliards de dinars ». Il a fait remarquer que la restauration des comptes a permis de découvrir un nombre important de bons de caisse vides, des titulaires de comptes fictifs ainsi que des comptes de précarité. La vente des biens immobilisés de Khalifa, surtout les équipements informatiques et le mobilier, n'a rapporté, selon le liquidateur, que 300 millions de dinars, alors que les créances (uniquement de la banque) ont été estimées à 38 milliards de dinars. Il a affirmé que les clients qui refusent de restituer les prêts qu'El Khalifa Bank leur a accordés seront poursuivis en justice. Toujours à propos de cette banque, le liquidateur a estimé le montant des dettes de cette institution privée à 117,1 milliards de dinars, son compte d'ordre à 29,5 milliards de dinars et ses engagements par signatures à 5 milliards de dinars, alors que ses fonds propres, a-t-il ajouté, sont négatifs. Le manque à gagner a été estimé à 16,7 milliards de dinars, soit un total de 129,9 milliards de dinars, loin de refléter la réalité. Il a précisé que l'inventaire des dettes a permis d'identifier 10 000 créanciers pour un montant de 168 milliards de dinars, alors que le passif de la banque pourrait atteindre 220 milliards de dinars, soit l'équivalent de près de 3 milliards de dollars US.