Jeudi 8 septembre. Après-midi. La salle omnisports de Aïn Bénian, à l'ouest d'Alger, est quadrillée par des vigiles. Tous corps confondus. Des hommes en vert, d'autres en bleu, des agents du DRS en civil. Ceux de Yazid Zerhouni, le ministre de l'Intérieur et également patron des Renseignements généraux, sont aussi-là. « C'est un meeting sous haute sécurité », commente un riverain, adossé au mur d'un magasin demi-ouvert. « Le Président est à l'intérieur... », demande un jeune chômeur, qui se dirige vers la plus proche plage, canne à pêche à la main et l'air indifférent. « Sûrement... », appuie son copain qui lâche encore : « Rahoum y'tsalhou ou habou n'votiw âlihoum (ils se réconcilient et veulent qu'on vote pour eux). » Ces jeunes ne bronchent pas sur cette cacophonie électorale pour le référendum du 29 septembre. Ils passent. Le meeting, commencé depuis un bon moment, tire à sa fin et ce n'est pas le Président Bouteflika qui est à l'œuvre, mais plutôt son « assistant », Ahmed Ouyahia, à la fois chef du gouvernement et secrétaire général du RND. Lui, le Président, avait terminé son meeting à Oran le matin. Ouyahia, qui revenait de Médéa où il avait animé un autre meeting, trouve en face de lui le visage défait des victimes du terrorisme. Transportées de différentes localités d'Alger, voire d'ailleurs, femmes, veuves et mères réclament un statut. Ahmed Ouyahia leur promet ainsi un lendemain meilleur, semblable à celui des familles des chouhada. « L'Etat n'a pas l'intention de tourner le dos à ses enfants (victimes de la tragédie nationale). Le projet de charte contient des dispositions pour assister cette catégorie de la société », affirme-t-il. Il n'explique cependant pas ce lendemain et n'écoute pas les victimes, éparpillées dans l'immense salle pour étouffer leur voix facilement. Des agents en civil les surveillent et les empêchent de parler. De transmettre leur message au chef du gouvernement. Ouyahia appelle à une mobilisation générale le 29 septembre. Il met en exergue la nécessité d'une expression populaire « aussi forte que possible ». « Nous avons besoin de vous le 29 septembre prochain. Ce jour-là, il faut frapper fort en allant massivement exprimer votre adhésion, car l'enjeu est de permettre à l'Algérie de retrouver la paix et remettre le pays sur le sentier de l'édification et de la prospérité », déclare-t-il. Rendant hommage à l'ANP, aux services de sécurité, Ouyahia demande aux Patriotes de déposer les armes, en leur disant que l'Etat va réfléchir sur leur devenir. « Ils ont payé un lourd tribut pour sauver l'Algérie », reconnaît-il. Main tendue Le premier responsable du RND se vante, à l'occasion, des résultats des initiatives précédentes qui se sont soldées, selon lui, par la reddition de plusieurs milliers de terroristes. « La loi sur la rahma a permis la reddition de 4000 éléments armés, alors que le référendum sur la concorde civile a permis la reddition de 6000 autres éléments armés », indique-t-il, soulignant qu'« en 1994, l'Etat luttait contre quelque 20 000 terroristes ». Affirmant la poursuite de la lutte antiterroriste, Ouyahia invite les groupes armés, encore en activité, à « saisir cette opportunité pour revenir sur le droit chemin » en déposant les armes. Reprenant les idées du Président, il tend la main aux autres responsables du FIS dissous, notamment Rabah Kébir, exilé en Allemagne, et Anouar Haddam, réfugié aux Etats-Unis. Il les appelle à rentrer en Algérie en leur précisant qu'il n'y aura plus de retour aux années 1990 et que le FIS est fini. Il leur demande de « ne plus accepter de servir de cartes de pression contre leur propre pays ». Accusations Il accuse, en revanche, les ONG internationales et l'Internationale socialiste de faire du business politique en faisant pression sur l'Etat algérien. Ouyahia évoque les familles des terroristes et les disparus, les mettant dans la même panier. Il souligne brièvement l'existence de dispositions prévues dans le projet de charte pour la paix et la réconciliation nationale, destinées à ces deux catégories, sans les énumérer. Il soutient que « l'Algérie ne pourra jamais oublier les années de braise » et qu'elle « ne pardonnera pas à ceux qui ont commis les massacres de Raïs, Bentalha, Relizane, encore moins à ceux qui ont atteint l'honneur de nos filles ». Agacées par ce discours, des femmes âgées se lèvent et crient, mais le silence leur a été obligé par les vigiles. Un brouhaha s'installe et Ouyahia chute, vite, sur « la fin du terrorisme » qui doit « nous préparer à ouvrir un autre front, celui de la lutte contre la corruption, le crime organisé ». Le meeting se termine en queue de poisson. Le SG du RND quitte la salle. Et on laisse les familles déverser leur colère. Elles accusent Mme Flici, présidente de l'Organisation nationale des victimes du terrorisme, de leur avoir menti. « Elle nous a demandé de venir pour pouvoir parler de notre statut. Mais finalement, elle nous a ramenées pour remplir la salle. C'est une opportuniste. Elle nous utilise comme tremplin pour atteindre ses desseins étroits. Elle désire devenir ministre... », lâche une veuve, ramenée de Bachedjarah, localité infestée par les terroristes durant la décennie noire. Une autre femme, venue de Bentalha et qui a perdu tout ce qu'elle a donné au monde une nuit de 1997, refuse que des gens, à l'image de Mme Flici, parle en son nom. Des voix écumées de rage renchérissent en chœur : « Nous n'avons pas de représentants, qu'ils fassent seuls leur réconciliation. » Elles ne supportent pas le fait de voir des terroristes repentis vivre dans la quiétude et le confort après avoir fait couler le sang de dizaines de milliers d'Algériens. Tandis qu'elles, victimes de ceux-ci, se débattent dans un quotidien miséreux. Les bus de la société publique de transport, l'Etusa, débordant d'enfants qui n'ont pas encore atteint l'âge de vote, prennent leur direction pour déposer « la foule ». La mise en scène prend fin. Et la vie reprend son cours habituel à Aïn Bénian.