A force de patience et de bonne organisation, la 62e Mostra de Venise est arrivée au bout de son chemin sans accroc en dévoilant des œuvres parfois brillantes. Le tableau du lido était tout sauf grisâtre, au contraire cosmopolite et métissé, avec une brochette de stars quasi débordée... Le cinéma italien attend un Lion d'or depuis dix ans. Des chapelets d'articles dans la presse le réclament depuis le début de la Mostra. On ressasse ici les antiques gloires du cinéma italien. Mais cette année la concurrence est rude. Le programme compte pourtant au moins un bon film italien. Celui de Christina Comencini, fille du célèbre Luigi Comencini. Le Bastia Del Cuore raconte un secret de famille. Des relations troubles entre un père et ses enfants. Des choses terribles qu'on ne dit pas, qu'on tente d'oublier. Christina Comencini s'y entend bien pour filmer cette histoire complexe, traumatisante et que la censure italienne a autorisée seulement pour les plus de 18 ans. D'emblée, on entre dans cette mise en scène très classique, avec des acteurs loin d'être pathétiques ou insipides, comme Giovanna Mezzogiorno, Stefania Rocca, Alessio Boni. Il n'y a pas de morale nébuleuse dans ce film, il y a seulement une histoire très dense et des êtres sensibles. La Mostra de Venise semble abonnée au cinéma d'Asie et c'est tant mieux ! Stanley Kwan a fait, dans un beau film, de Shanghai un personnage en soi. C'est Changhen Ga, adapté du best-seller de Wang Anyi. C'est un film sur la légende de Shanghai. Flamboyante nullement discrète, condescendante au début des années 1940, la cité de Shanghai, fut tour à tour séduite et abandonnée, et plus tard retrouvée quand la Chine s'est ouverte au monde extérieur. D'une beauté épuisante, avec ses histoires d'espions épiques et ses boîtes de nuit où les plus belles femmes séduisent les plus habiles hommes d'affaires, Shanghai a vu arriver la guerre, l'exode vers Hong Kong et San Francisco des hommes et des femmes qui faisaient son triomphe, puis les soubresauts de la révolution de Mao, suivis par les exactions des Gardes rouges (capables de la pire barbarie contre les articles, les écrivains, les peintres). Shanghai est alors en proie à une immense déchirure. Stanley Kwan, lui aussi, excelle à peindre les sentiments de ses héros qui au milieu des hasards et des regrets disparaissent, se perdent, se retrouvent là où les a conduits leur destin. Il faut attendre l'ouverture de la Chine pour que la situation bascule vers un monde meilleur, comme on dit. Cette saga parfois périlleuse de Shanghai est filmée dans une fiction au rythme haletant. Un demi-siècle d'une beauté qui s'épuise et qui soudain retrouve ses couleurs et ses bruits. Shanghai est aujourd'hui un élément déterminant du boom économique de la Chine. Pendant deux heures chrono, ce film fait de tourbillon d'images et de rebondissements nous introduit dans les mystères de Shanghai. Parfois, on croit que c'est un document authentique. Mais c'est par le truchement de la fiction et l'apport d'acteurs comme Tony Leung, Sammi Cheng (l'héroïne du film), Daniel Hu, Hu Jun au jeu remarquable que Stanley Kwan réussit son beau poème cinématographique dédié à Shanghai.